À contre-courant / Le suicide économique du gouvernement

Jérôme Gleizes  • 29 novembre 2012 abonné·es

L’aéroport Notre-Dame-des-Landes et la ligne ferroviaire Lyon-Turin sont deux grands projets du gouvernement Ayrault pour relancer la croissance, dans une logique productiviste surannée. Ces investissements prestigieux s’avéreront coûteux et leur exploitation deviendra un fardeau financier : un nouveau tunnel sous la Manche, sauf que le pigeon ne sera plus l’actionnaire populaire, mais le contribuable. Des alternatives moins onéreuses existent, mais le gouvernement préfère engager des dépenses disproportionnées alors que, par ailleurs, il défend l’austérité au nom d’une relance transitoire de l’activité, bénéficiant essentiellement aux géants du BTP, dont Vinci.

La Cour des comptes  ^2 vient de déclarer que le pilotage du projet de ligne ferroviaire est insuffisant. Les coûts d’étude sont passés de 320 à 901 millions d’euros, ceux du projet de 12 à 26,1 milliards depuis 2002. Les prévisions de circulation sont revues à la baisse, et la rentabilité du projet est négative pour tous les scénarios envisagés ! Malgré cela, François Hollande et Jean-Marc Ayrault s’apprêtent à confirmer les travaux lors du prochain sommet franco-italien, espérant que l’Europe financera, alors même qu’ils ont été incapables d’obtenir une hausse du budget européen lors du dernier sommet de Bruxelles. Concernant Notre-Dame-des-Landes (voir aussi p. 10), la Cour des comptes n’a pas donné d’avis, mais les arguments se ressemblent : un projet de 1967 pour répondre aux défis de notre temps ^3 ! L’actuel aéroport de Nantes est sous-utilisé. En 2011, avec 60 800 mouvements, il a reçu 3,2 millions de passagers, pour une surface plus grande que celle de l’aéroport de Londres-Gatwick (280 000 mouvements pour 31 millions de passagers). Le projet est estimé à 561 millions d’euros, mais il faudrait ajouter les autres investissements liés : dessertes routières et ferroviaires, à la charge des collectivités territoriales. De plus, un cabinet indépendant hollandais ^4 anticipe des déficits entre 90 et 600 millions, selon les scénarios, alors qu’une optimisation de l’actuel aéroport serait plus rentable.

Le problème est toujours le même : l’incapacité des gouvernants à comprendre que la cause première de la crise n’est pas l’absence de croissance, mais que celle-ci est devenue structurellement impossible si on ne s’attaque pas aux causes écologiques (raréfaction des ressources, dérèglement climatique, perte en biodiversité, etc.). Arrêtons de détruire des terres arables, des zones humides, de promouvoir des industries émettrices de CO2 [^5]. En liant réduction des dépenses, au nom du traité budgétaire européen, et dépenses inutiles, la stratégie économique du gouvernement est suicidaire. Elle ne réindustrialisera pas la France, ne réduira pas le chômage, les inégalités, le déficit budgétaire, la dette publique. Pour relancer le BTP, autant financer la rénovation thermique des bâtiments ; pour relancer l’innovation, autant développer les énergies renouvelables ; pour sauvegarder l’agriculture, autant réduire notre dépendance aux produits bio importés ; quant à privilégier les services, autant favoriser la recherche et l’enseignement… La rupture n’est pas pour maintenant !

[^2]: http://alturl.com/sn8nu 

[^3]: http://alturl.com/5jf2j 

[^4]: http://aeroportnddl.fr/articles.php?lng=fr&pg=422 

[^5]: Pour une analyse plus détaillée : Une lecture écologiste de la crise. La première crise socio-écologique du capitalisme, Jérôme Gleizes et Yann Moulier-Boutang, Écorev’ n° 32, printemps 2009.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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