« La fermeture de Sangatte n’a rien changé »

Jean-Pierre Alaux explique comment l’insertion des migrants est rendue impossible. Et souligne l’absurdité des politiques de dissuasion.

Clémence Glon  • 15 novembre 2012 abonné·es

Jean-Pierre Alaux dénonce le non-respect des droits fondamentaux des exilés et la théorie selon laquelle une amélioration de leurs conditions d’accueil augmenterait leur nombre.

Selon vous, la fermeture du centre de Sangatte était-elle inévitable ?

Jean-Pierre Alaux : Dans la mesure où Sangatte ressemblait davantage à un camp qu’à un centre, il fallait y mettre fin. Mais un traitement inhumain a été remplacé par un autre traitement inhumain. Aujourd’hui, les migrants vivent comme des SDF tout en se cachant pour éviter les contrôles de police. Ces hommes et ces femmes sont les rescapés d’un périple dangereux, et leurs droits ne sont pas respectés. Par exemple, en février 2012, le Conseil d’État a érigé le droit à l’hébergement comme une liberté fondamentale, mais les actes ne suivent pas. En France, la gauche comme la droite pratiquent une politique de dissuasion qui échoue depuis quinze ans. La fermeture du centre de Sangatte n’a rien changé. Les migrants sont toujours là. Ils sont plus dispersés, c’est tout. Paris est devenu pour eux la banlieue du Calaisis, notamment pour les Afghans qui errent dans le Xe arrondissement.

Que pensez-vous de la théorie de « l’appel d’air », qui justifierait le manque de structures ?

Les études montrent clairement que l’immense majorité des exilés ne savent pas, avant de partir, quel pays ils rejoindront. Le but est bien d’atteindre l’Europe, mais ils n’ont pas d’idée plus précise. Améliorer les conditions d’accueil ne fait pas augmenter le nombre de migrants. La commune de Norrent-Fontes, par exemple, a fait construire des cabanes en bois et des sanitaires pour remplacer un campement. Cet hébergement humanitaire n’a pas provoqué une arrivée massive. La théorie de l’appel d’air sert un discours avant tout idéologique.

La réglementation européenne complique-t-elle la prise en charge des migrants ?

Concernant l’asile, le droit s’est complexifié en 2003 avec la réglementation Dublin II, qui condamne une bonne partie des exilés à solliciter l’asile dans un seul pays : celui dans lequel ils ont été contrôlés la première fois. Mais dans beaucoup d’États (Grèce, Hongrie, Pologne, Malte), ce statut n’existe que sur le papier. Dans d’autres, comme l’Italie, c’est leur insertion qui est rendue impossible. La législation actuelle fabrique des personnes qui basculent dans une errance sans fin entre des pays où leur statut varie du tout au tout. Certaines sont devenues folles après un tel traitement. La réglementation Dublin II se résume à une peine de mort différée pour nombre d’exilés.

Y a-t-il des États modèles en matière de protection des réfugiés ?

La Suède et la Norvège ont eu une politique d’accueil très favorable aux exilés. Jusqu’en 2008, la Suède reconnaissait le statut de réfugié des Irakiens à 90 %. Débordés par les demandes, ces pays ont alors lancé un appel à l’aide à destination des États membres européens. Tous ont fait la sourde oreille, et les États nordiques ont aligné leur réglementation. Aujourd’hui, nous assistons à une véritable course vers le bas en matière de droit des migrants.

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