« Aujourd’hui », d’Alain Gomis : Une invitation au (grand) voyage

Dans Aujourd’hui , d’Alain Gomis, un homme condamné à mourir le lendemain revisite sa vie et sa ville.

Christophe Kantcheff  • 10 janvier 2013 abonné·es

A ujourd’hui, d’Alain Gomis, va satisfaire ceux qui attendent, impatients, exigeants, qu’un film produit de nos jours en France les surprenne, ne ressemble guère à ce qui est couramment proposé, sorte des sentiers battus. Est-ce parce qu’Alain Gomis l’a tourné en Afrique, à Dakar ? Ou bien parce que le réalisateur de l’ Afrance (2001) et d’ Andalucia (2007) se soucie peu des frontières entre les genres, lui qui a commencé par des travaux de vidéaste ou qui fait ici appel à un musicien pour jouer la comédie sans pour autant lui demander de chanter ou de concevoir la BO ? Aujourd’hui est d’abord un conte philosophique. Un personnage, Satché (Saul Williams), semble se réveiller d’un sommeil sans fond : il reprend peu à peu conscience de son corps, de qui il est, de l’endroit où il se trouve : la maison de ses parents. Là, il est accueilli comme l’enfant prodigue – il vient juste de poser le pied à Dakar après des années d’exil –, mais aussi comme un condamné à mort. Satché a en effet été désigné pour mourir 24 heures plus tard, sans que l’on sache par qui ni pourquoi. Pour la communauté familiale, cette nouvelle est autant un malheur qu’un honneur.

Aujourd’hui raconte donc des retrouvailles qui sont aussi des adieux. Pas de fin de monde ici, même si Aujourd’hui pourrait en partie résonner avec le film récemment sorti d’Abel Ferrara, 4 h 44 Dernier jour sur la terre (voir Politis du 20 décembre). Ce qui n’est nullement le cas. L’humeur de Satché n’est pas à l’angoisse, encore moins à la tristesse ou à l’accablement. En réalité, il va vivre cette journée comme si c’était la dernière, même si c’est effectivement la dernière. C’est-à-dire, dans un premier temps, comme s’il était étranger à l’endroit où il se trouve, puis en étant plus que jamais présent au monde, présent avec les siens, ses enfants et sa femme. Plus exactement, en vivant ces deux états, dehors et dedans, simultanément. Aujourd’hui est aussi une comédie non pas musicale mais sonore, non dansée mais chorégraphique. Toutes les séquences accordent une grande importance aux voix, aux bruits, aux mouvements d’ensemble, à l’allure des corps. Celle où Satché sort de chez ses parents, par exemple : il descend la rue, rencontrant à chaque pâté de maison d’anciens amis qui s’agrègent au fur et à mesure à ceux qui le suivent, tel un groupe de « fans », comme s’il était le prince du quartier.

Une autre séquence met en présence Satché et la jeune femme qui fut son premier amour, Nella (Aïssa Maïga), dans l’atelier de sculpture de celle-ci. Lui, encore séduit par cette grande liane magnifique, et elle, à la fois émue par le retour de Satché et amère de ne pas avoir été l’élue de son cœur, esquissent une danse d’attraction-répulsion entre les pièces exposées. Il y a enfin cette scène où Satché retrouve ses vieux potes dans une sorte de ronde masculine et virile, rythmée par le reggae de Toots and the Maytals qu’émet un 33 tours sur un pick-up. Toutes scènes superbes, dont chacune a sa forme propre, qui n’obéissent pas à la narration linéaire classique et, ensemble, constituent un tout cohérent. Aujourd’hui a encore bien d’autres dimensions. Par exemple, il offre une certaine représentation de l’état social du Sénégal. Pendant son tournage, Alain Gomis a filmé des manifestations de colère contre la misère et en montre quelques images, comme autant d’échos de l’état intérieur de son personnage. Aujourd’hui contient aussi des moments intimistes intenses entre un homme et une femme qui s’aiment et savent qu’ils doivent se quitter. Et même une pointe de fantastique. Alain Gomis raconte un voyage tranquille vers une rive inconnue. Une histoire d’amour pour un continent, une ville, une existence. Il n’y a qu’à se laisser bercer.

Cinéma
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