À contre-courant / La comédie du budget européen

Liêm Hoang-Ngoc  • 28 février 2013 abonné·es

Le mode de financement du budget de l’Union, alimenté en grande partie par une contribution des États membres, met en scène des marchandages qui ont conduit pour la première fois, lors du Conseil des 7 et 8 février, à réviser à la baisse les perspectives financières prévues dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020. La proposition de la Commission européenne, soutenue par le Parlement, était pourtant ambitieuse. Elle consistait à augmenter de 5 % le budget par rapport au cadre pluriannuel précédent 2007-2013 (les engagements prévus s’élevant à 1 047 milliards au lieu de 994 milliards). L’application de l’accord du Conseil des 7 et 8 février entraînerait une baisse de 3,5 % du budget (960 milliards).

La négociation qui a précédé cet accord fut le théâtre d’une véritable comédie jouée par les acteurs du « club des radins », formé par les contributeurs nets cherchant à réduire leur écot et à maximiser leurs « retours ». Il s’oppose au club des « amis de la cohésion », constitué des pays bénéficiaires nets des aides, notamment attribuées au titre de la cohésion. Dans un système où les contributions des États alimentent plus de 75 % des ressources de l’Union, il était inéluctable que ces marchandages finissent par accoucher d’un CFP moins ambitieux que le précédent. Le choix de la « consolidation budgétaire » n’y est pas étranger. Il dissuade les contributeurs nets de creuser leurs déficits ou d’augmenter leurs impôts pour financer l’Union. Le Royaume-Uni est donc resté crispé sur son rabais obtenu en 1984, et qu’il fait supporter principalement à l’Allemagne et à la France. En dramatisant la situation, annonçant la tenue éventuelle d’un référendum dans son pays en faveur d’une Europe à la carte, David Cameron est parvenu à insinuer dans la négociation l’idée que, si compromis il y avait, il se nouerait nécessairement au rabais. Face à lui, François Hollande a déclaré, en phase avec le Parlement européen, que, s’il fallait « faire des économies », il ne s’agissait pas « d’affaiblir l’économie ». Il ne pouvait qu’obtenir le moins mauvais compromis possible dans le cadre d’un budget en baisse. La ligne budgétaire « compétitivité » serait mieux dotée, au détriment de la PAC et de la cohésion. Il fallait toutefois obtenir suffisamment pour la PAC, tout en évitant de trop mécontenter les « amis de la cohésion ». Un tel compromis était, de surcroît, voulu par la chancelière allemande, placée en position d’arbitre et cherchant à éviter la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

L’épilogue de cette comédie est qu’un pas décisif vers le fédéralisme budgétaire requiert de remplacer progressivement les contributions des États membres par des instruments fiscaux et financiers européens. Pour l’heure, seul le Parlement peut mettre son veto à cet accord, s’il reste en l’état. Le traité de Lisbonne prévoit qu’en cas de veto du Parlement, le budget annuel précédent (celui de 2013) est reconduit et rediscuté chaque année. L’occasion est ici donnée au Parlement de prendre le pouvoir pour faire prévaloir l’intérêt général sur les égoïsmes nationaux. Son rôle devra être accru dans les prochains traités, afin de réconcilier enfin les citoyens avec l’Europe.

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