L’autonomie fait débat

Alors que le Parti de gauche tient son congrès à Bordeaux, une vive polémique l’oppose à certains responsables du PCF sur la question des relations avec le PS, à l’approche des municipales.

Michel Soudais  • 21 mars 2013 abonné·es

Les socialistes divisent le Front de gauche. Les rapports que ce dernier doit entretenir avec la majorité gouvernementale sont au cœur d’une polémique publique entre la direction du Parti communiste (PCF) et le Parti de gauche (PG), qui tient son congrès ce week-end à Bordeaux. Discussion ou opposition sans concessions ? La controverse s’est cristallisée à la veille du débat au Sénat sur la loi d’amnistie sociale. Depuis, elle se prolonge dans la presse et sur les blogs avec en toile de fond la préparation des municipales. Tout commence avec un communiqué du porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, suivi d’un entretien de celui-ci à Libération (26 février), désapprouvant des propos tenus par Jean-Luc Mélenchon. Lors d’une conférence de presse, le coprésident du PG avait appelé à la mobilisation pour que la proposition de loi d’amnistie présentée par le Front de gauche, et déjà rejetée d’une voix en commission des lois, soit adoptée au Sénat. Il s’agissait, avait-il expliqué, de « tordre le bras » de François Hollande, tout en promettant de « pourchasser jusque dans le dernier village de France » les élus de gauche qui ne voteraient pas le texte. Inapproprié, juge Olivier Dartigolles, qui accuse Jean-Luc Mélenchon de ne pas faire preuve de « responsabilité vis-à-vis du monde du travail », et de « creuser des fossés à gauche » au lieu de « tendre la main aux socialistes pour que cette loi soit votée ». « Il ne faut pas emprunter le chemin de la menace, mais celui du rassemblement de la majorité sénatoriale de gauche. »

L’existence de divergences entre les deux principales formations du Front de gauche n’a rien d’un scoop. Certains désaccords sont connus et n’ont pas disparu, même si pendant la campagne présidentielle un modus vivendi avait été trouvé. C’est le cas pour le nucléaire civil, en faveur duquel le PCF a récemment plaidé à l’occasion du deuxième anniversaire de la catastrophe de… Fukushima. D’autres nuances percent au gré de l’actualité. Ainsi, quand Jean-Luc Mélenchon estime que « l’élection de Jorge Mario Bergoglio comme nouveau pape n’est pas une bonne nouvelle pour les progressistes du monde chrétien ni pour la révolution citoyenne en Amérique du Sud », le communiste Pierre Dharréville salue un « un moment important pour les catholiques de toute la planète ». Le PG dénonce le « silence » du cardinal argentin « sous la dictature militaire » et le met au défi de « prouver qu’il n’a pas été élu pour déstabiliser les régimes progressistes de l’Amérique latine ». Le PCF ne souffle mot du passé du pape François, mais se félicite qu’il ait « appelé à une “immense fraternité” dans le monde », « un défi majeur de notre temps, d’une aspiration qui travaille toute l’humanité ».

« Ce n’est pas la première fois qu’il y a une différence de ton entre Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent ou un autre dirigeant », minimisait donc Pierre Laurent dans un entretien au Jdd.fr, décrivant le Front de gauche comme «   un Front uni qui parle de plusieurs voix ». À ce détail près, note Jean-Luc Mélenchon sur son blog, qu’ « il était convenu de réserver le débat à nos réunions internes ». Afin d’éviter que le PS s’en saisisse. Ce que s’est empressé de faire son secrétaire national aux relations extérieures, Luc Carvounas, qui affirmait, dans un communiqué, avoir « toujours fait la différence entre les éructations de Jean-Luc Mélenchon », décrit comme un « petit Robespierre de mauvaise facture », et « la position des responsables du Parti communiste », des « amis » à qui il reproche néanmoins de ne pas être « dans le bon chemin au Sénat » quand ils associent « leurs voix avec celles de la droite ». La seconde critique faite à Olivier Dartigolles porte sur la personnalisation du débat : « Réduire nos discussions à des questions individuelles, comme le faisaient jusqu’ici uniquement et systématiquement nos adversaires, déplore François Delapierre sur son blog, c’est nous tirer vers le bas… et dans le dos. » Le secrétaire national du PG appelle au contraire le Front de gauche à assumer ses débats, et faire ainsi « œuvre d’éducation populaire, en rupture avec la superficialité de la “pipolitique” comme avec les façades de marbre des organisations du siècle dernier ». Avant d’exposer celui du moment. Pour l’ex-directeur de campagne de Mélenchon, « Olivier Dartigolles pense que nous pourrions obtenir des avancées de la part du PS en baissant d’un ton, en prenant nos distances avec l’opposition sans concessions exprimée par Jean-Luc, en plaidant habilement notre cause dans les assemblées parlementaires. Nous pensons au Parti de gauche que nous n’obtiendrons rien sans rapport de force, et qu’il faudra tout arracher par l’intervention populaire. »

Et celle-ci suppose au préalable de hausser le ton. Une « fonction tribunicienne » assumée par le PG, mais raillée par le communiste André Chassaigne, président du groupe GDR à l’Assemblée nationale. Il y voit une « posture » qui « consiste uniquement à être dans des grandes déclarations politiques qui peuvent être brutales ». Dans une note titrée « Halte au feu… dans le Front de gauche », publiée le 5   mars sur son blog, Christian Picquet a tenté de jouer les médiateurs. Sans grand succès puisque les échanges aigres-doux entre les dirigeants du PG et les communistes Dartigolles et Chassaigne ont continué. Le porte-parole de Gauche unitaire (GU) a toutefois obtenu la tenue d’un séminaire de la coordination du Front de gauche en avril, après les congrès du PG et de GU (6 et 7 avril). Il s’agira d’aplanir les divergences et d’essayer de trouver un terrain d’entente pour les municipales. Le texte stratégique, adopté fin janvier par les neuf formations du Front de gauche, était volontairement vague sur cette échéance électorale, bien qu’il ait repoussé l’idée que le Front de gauche devait travailler à peser dans la majorité de Hollande. Le texte d’orientation, adopté par le congrès du PCF, ne ferme pas la porte à des listes d’union de la gauche en mars 2014, loin s’en faut. De son côté, le PG, qui s’est déjà prononcé pour des listes anti-austérité aux municipales, donc autonomes du PS – le congrès de ce week-end devrait préciser ce point –, soupçonne une sensibilité du PCF de travailler à des accords avec le PS en se contentant d’obtenir quelques mesures. Et de vouloir faire revivre localement une union de la gauche qui affaiblirait le message alternatif du Front de gauche, notamment aux européennes, convoquées deux mois après les municipales.

Si l’autonomie par rapport au PS divise le Front de gauche, la politique du gouvernement ne tardera pas, sans doute, à mettre tout le monde d’accord. Commentant les implications de la ratification du traité budgétaire européen, début octobre, le politologue Gérard Grunberg pronostiquait dans le Monde  : « La politique que mènera nécessairement François Hollande est incompatible avec ce qui reste de la culture communiste. » Pour ce bon connaisseur de la gauche, « que le PCF souhaite ou non rompre clairement avec le PS, […] l’écart entre les deux partis sera presque impossible à combler tant le cours de la social-démocratie européenne divergera de manière croissante » des orientations du PCF. Les options politiques retenues par l’Élysée ne l’ont pas démenti. Au contraire.

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