Le précédent du Tea Party

Le mouvement populiste et ultraconservateur américain a été en partie récupéré par la droite républicaine. Ce n’est pas là son seul point commun avec le mouvement « La Manif pour tous ».

Alain Lormon  • 25 avril 2013 abonné·es

Le mouvement anti-mariage pour tous a quelques ressemblances avec le Tea Party, né en 2008 aux États-Unis de l’initiative d’une jeune blogueuse de Seattle, Keli Carender. La jeune femme avait appelé sur Internet ses compatriotes à protester contre l’American Recovery and Reinvestment Act, dont l’objectif était de renflouer les banques et d’aider les petits propriétaires expulsés à la suite de la crise des subprimes. Relayé par une chaîne de télévision financière, l’appel avait abouti à une réunion qui aurait pu rester tout à fait anecdotique. Mais cette première initiative, qui n’a pas rassemblé plus de cent vingt personnes, a rapidement inspiré de nombreux groupes locaux à travers le pays. Le mouvement, très hétéroclite, aussi bien du point de vue idéologique qu’organisationnel, n’a guère qu’un dénominateur commun, mais puissant : la haine de l’État fédéral. Tout ce qui vient de Washington est mauvais. Tout ce qui peut ressembler à une dépense sociale, à une taxe, à un impôt, à un déficit public doit être combattu avec la dernière énergie.

En exaltant la liberté individuelle, les Tea Party prétendent en revenir à la lettre de la Constitution américaine. La dénomination même de cette nébuleuse se réfère à l’un des actes fondateurs de la Révolution américaine contre la métropole britannique. Le 16 décembre 1773, un groupe de Bostoniens avait détruit une cargaison de thé pour protester contre les taxes auxquelles les colons étaient assujettis. Les héros, inscrits dans la légende de la jeune nation, ont aussitôt été surnommés « les fils de la liberté ». « Liberté », « libéralisme », « libertarisme » sont les maîtres mots du mouvement actuel. L’une de ses figures les plus emblématiques est Ron Paul, membre texan de la Chambre des représentants. Hostile à toute forme d’interdit, et à toute espèce de contrainte, il est aussi bien ennemi de l’impôt que partisan de la libéralisation des drogues et favorable au retrait des États-Unis de l’ONU et de l’Otan. Mais le Tea Party a rapidement été dominé par le mouvement évangélique. Il est porteur de valeurs dites traditionnelles et en réalité très réactionnaires, anti-avortement (« prolife »), et pour la loi du talion et la peine de mort.

On peut trouver plusieurs similitudes entre le Tea Party américain et le mouvement anti-mariage pour tous français. Notamment l’influence de la droite et de l’extrême droite chrétienne, mais aussi la tentative de récupération par la droite politique. Aux États-Unis, les plus extrémistes des Républicains ont vu dans l’émergence du Tea Party l’occasion de radicaliser leur parti. Une femme, plus que tout autre, a symbolisé cette irruption du Tea Party sur la scène politique : Sarah Palin. Colistière du candidat républicain à la présidentielle de 2008, elle a largement propagé durant la campagne un discours qui pourrait figurer dans un précis du parfait réactionnaire : antiféministe, anti-mariage gay, antisocial, membre de la National Rifle Association (NRA, le lobby des armes), favorable à l’ouverture de centrales nucléaires, hostile à la protection des espèces animales menacées… On en passe et des meilleurs. C’était trop sans doute, même pour l’Amérique blanche et conservatrice. Le ticket McCain-Palin a essuyé un cuisant revers à la présidentielle de novembre 2008. Et l’extrémisme de l’égérie des Tea Party a fini par fracturer le Parti républicain, dont certains caciques savent bien que l’élection se gagne au centre-droit. En plus de fortes similitudes idéologiques et d’une évidente porosité entre l’extrême droite et la droite, le Tea Party et le collectif « La Manif pour tous » ont un autre trait commun : l’opulence financière. Les bailleurs de fonds ne s’y sont pas trompés. Outre-Atlantique, l’ultralibéralisme antisocial du mouvement a séduit quelques gros bonnets du capitalisme états-unien. Le Tea Party a été abondamment arrosé par AT&T, Philip Morris et le trust de la télécommunication Verizon. Entre autres. On est loin de la petite blogueuse de Seattle…

Publié dans le dossier
L'inquiétante dérive de la droite
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