Garder le secret des sources

La Commission nationale consultative des droits de l’homme a remis son avis sur la protection des sources.

Jean-Claude Renard  • 9 mai 2013 abonné·es

On se souvient de l’épisode des « fadettes », relatif à l’enquête sur l’affaire Bettencourt. En 2010, le procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye avait demandé à un opérateur de lui communiquer les factures téléphoniques détaillées de trois journalistes pour découvrir quelle était leur source (en l’occurrence, Gérard Davet et Jacques Follorou, du Monde, et Fabrice Lhomme, alors à Mediapart). Cette démarche suffisait à démontrer l’insuffisance de la loi sur la protection des sources, quand même son application a conduit à l’annulation a posteriori des réquisitions (en mai 2011). Christiane Taubira, garde des Sceaux, a dû se souvenir de cette affaire quand, en novembre dernier, elle a saisi la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) pour avis sur la protection du secret des sources des journalistes, dans le cadre d’un projet de loi. En jeu : améliorer le dispositif en place. La CNCDH a remis son avis ce 25 avril. En rappelant d’abord que la protection du secret des sources est « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse », garantissant « le droit à l’information du public sur des questions d’intérêt général ». En France, prévient la Commission, « la nécessité de protéger le secret des sources est d’autant plus forte que la vie publique souffre d’un déficit de transparence ». L’avis s’inscrit ainsi dans la défiance. La crise morale et politique actuelle ne peut que renforcer ce sentiment.

La dernière loi relative à la protection du secret des sources des journalistes a été mise en place en janvier 2010. Trois années d’exercice ne suffisent pas à en dresser le bilan. Mais, pour la CNCDH, il convient déjà de lui apporter « des compléments ». En soulignant que cette protection n’est pas l’affaire d’une corporation mais « la garantie essentielle pour le fonctionnement de notre démocratie ». Ce à quoi souscrit Fabrice Lhomme, aujourd’hui au Monde  : « Le grand public pourrait comprendre que les journalistes sont au-dessus des lois. L’enjeu est tout autre : il ne s’agit pas de faire peur aux seuls journalistes, mais aux sources. Il ne suffit donc pas de protéger les journalistes, mais aussi les sources, qui prennent des risques et, en conséquence, se referment sur elles-mêmes. Or, pas de source, pas d’informations ». Les recommandations de la Commission tiennent en plusieurs points. À commencer justement par une protection reconnue à tous, au-delà des journalistes. Elle invite le gouvernement à s’inspirer de la loi belge pour que bénéficie de la protection des sources « toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’information, par le biais d’un média, au profit du public ; toute personne qui, par l’exercice de sa fonction, est amenée à prendre connaissance d’informations permettant d’identifier une source, et ce à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations ». La CNCDH poursuit en suggérant que les journalistes professionnels puissent bénéficier d’une immunité concernant le délit de recel de violation du secret professionnel. D’autre part, il serait nécessaire d’ouvrir cette protection aux lanceurs d’alerte lorsqu’ils « divulguent, de bonne foi, des informations authentiques d’intérêt public ». Un point de vue « légitime, poursuit Fabrice Lhomme, puisque ces lanceurs d’alerte sont toujours sous le coup de sanctions. Si l’ampleur de la corruption en France est considérable, beaucoup trop de gens détenant une part de la vérité n’osent pas s’exprimer, alors que leurs informations sont capitales ».

Parmi d’autres recommandations, la Commission préconise des sanctions pénales en cas de violation du secret (ce qui, curieusement, n’existe pas encore) ; et enfin que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse soit modifiée, permettant à un journaliste de détenir des documents provenant du délit de violation du secret de l’enquête, « sans que cette détention puisse donner lieu à des poursuites pour recel ». Pour un journaliste, dans l’exercice de sa mission d’information du public, c’est bien le moins. La balle est maintenant dans le camp de Christiane Taubira.

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