Cinéma : quelle convention collective ?

La convention collective des techniciens du cinéma, qui suscite de forts antagonismes, devrait entrer en vigueur le 1er juillet. Pour Laurent Blois, elle professionnalisera le secteur sans interdire la réflexion sur le financement des films d’art et d’essai. Pour Thomas Ordonneau, ses exigences seront intenables pour les petites productions.

Christophe Kantcheff  • 27 juin 2013 abonné·es

Illustration - Cinéma : quelle convention collective ?


L’extension d’une convention collective dans le cinéma… serait la mort du cinéma. C’est une vision un peu paranoïaque de la problématique, non ?
Le texte que nous avons négocié durant de très longues années et qui a vocation à être étendu à partir du 1er juillet est le fruit d’un long compromis. Pourquoi un compromis ? Parce qu’il convenait d’aboutir à des niveaux de rémunération pour les salariés qui répondent à certaines nécessités : reconnaissance de la précarité des professionnels du cinéma, des niveaux de qualification et des savoir-faire, préservation de rémunérations qui forment le socle de celles de ­l’ensemble de notre secteur (audiovisuel, cinéma), tout en préservant la diversité des films.

Cette réflexion, nous l’avons conduite en conscience, parfois dans des débats difficiles avec les professionnels que nous représentons, pour parvenir à la signature d’un accord en janvier 2012. L’existence d’une annexe intitulée « films de la diversité » est un élément que nous avons porté avec détermination afin de nous accorder un délai de cinq années autour de la question incontournable du financement desdits « films de la diversité ». C’est pourquoi dire, comme on le lit ici ou là, que la CGT se serait alliée avec les « gros » contre les « petits » est absurde.

Le cinéma, notre cinématographie, dont nous sommes fiers, existe parce que l’ensemble de la filière a, par sa réflexion, participé à la mise en place d’un système extrêmement mutualisé et qui a servi d’exemple à bien des CNC européens.

D’aucuns, plus malicieux que nous – qui le sommes assez peu –, ont des solutions toutes trouvées… Que les salaires soient la variable de la mise en production des films, même le Medef n’oserait pas le suggérer ! D’autres vont plus loin sur le terrain de l’impossibilité d’appliquer le code du travail dans le cinéma : on peut le faire en matière de santé et d’éducation, mais ce n’est pas très sérieux. Sauf que leurs bonnes idées, personne n’en veut.
Le cinéma français, aujourd’hui, a besoin de règles, le cinéma de la diversité aussi. Les défis à relever sont nombreux : exposition des films, transparence des aides et des remontées de recettes, professionnalisation des salariés du secteur, mise en place d’une réflexion autour de la recherche et du développement dans la production cinématographique, sous-financement de la diversité.

C’est à cela qu’il faut s’employer, et à tout cela. Pour ces motifs, nous pensons, mais peut-être est-ce archaïque, comme la CGT elle-même, que oui, il faut étendre la convention collective que nous avons signée.
Au-delà de ce « il faut », il y a la loi, et nous attendons des ministres de la Culture et du Travail qu’ils respectent la loi, c’est un minimum, et qu’ils étendent au 1er juillet un texte validement signé et négocié.

P.-S. : Et tout le reste est littérature, et nous aimons aussi la littérature.

Illustration - Cinéma : quelle convention collective ?


L’extension de la convention collective, portée par le gouvernement et les syndicats, propose de tirer vers le haut les engagements des productions afin qu’elles respectent les minima syndicaux négociés.

Ce faisant, ceux-ci feignent d’ignorer la situation réelle d’une industrie cinématographique qui, en une décennie, aura vu s’appauvrir sa possibilité de se financer décemment, en même temps que diminuaient ses opportunités de diffusion. Du moins pour un pan entier de la production française : celui qui produit pourtant les talents émergents, permettant année après année d’en consolider la position sur le marché international.
Le gouvernement et les syndicats tentent aussi d’ignorer que le secteur recherche et développement du cinéma français est porté par nombre de producteurs indépendants, de petite ou de moyenne taille. Et pour lesquels la seule variable d’ajustement n’est pas le salaire des techniciens et des ouvriers du cinéma, mais le désir et la volonté qui permettent à une équipe de se réunir derrière un projet pour le faire film.

Sont affectés par le défaut des financements aussi bien les salaires des équipes que ceux des producteurs, les frais généraux des structures et bien évidemment la mise en scène, qui doit perpétuellement se réinventer en fonction de l’économie du projet.

Une réforme n’est bonne que si elle est juste. Celle qui consiste à vitrifier le système en lui demandant d’appliquer aveuglément une réglementation que seuls les mieux financés peuvent observer est dangereuse.

Cette réforme n’est pas juste car elle sollicite seulement l’une des extrémités de la filière. Elle ne peut être applicable en l’état si rien n’est exigé sur la diversité des investissements des principaux financiers, mais aussi en termes de diversité de programmation des principaux diffuseurs. Nous ne parlons pas ici de la seule fenêtre télévisuelle, mais bien de la diffusion en salle. Elle reste celle qui donne sa valeur à un film de cinéma.

Or, le réseau des salles voit son offre hyperconcentrée sur un nombre restreint de films. En témoigne la forte progression de construction des multiplexes. Malheureusement, on ne peut observer le même phénomène dans l’évolution du réseau des salles Art et Essai.

L’exception culturelle, la représentation de sa diversité, la défense de l’enjeu économique que cela représente, la possibilité que les peuples disposent d’eux-mêmes, y compris en ce qui concerne la question de leur représentation, sont fondamentales pour la construction de l’avenir. La culture, comme l’éducation, doit rester au cœur des mutations qui sollicitent nos sociétés en crise. Le cinéma est une industrie du prototype. Contraindre et standardiser sa production serait nuisible et contre-productif. Le manque à gagner et la progression des conditions de travail en seraient durablement affectés.

La capacité et le désir des chaînes de télévision à investir sur les plus petits budgets ainsi que la capacité et le désir des réseaux de salles à exposer ces mêmes films sont limités. Alors il faut bien évidemment limiter les obligations qu’impose l’extension de la convention collective, voire, pour certains ­budgets de fabrication, appliquer une dérogation totale. Et continuer la réflexion sur la concentration de l’offre qui s’accentue de jour en jour et contribue à creuser l’écart entre les différents modèles économiques qui cohabitent dans l’industrie cinématographique.

Ouvrir des espaces de diffusion, c’est créer des spectateurs, générer de l’économie et ouvrir des possibles pour les films qui souffrent en financement et pour lesquels l’application de la convention collective étendue est inenvisageable en l’état, sous peine de disparition pure et simple.

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