France Télé, ou le moins-disant culturel

La suppression de « Des mots de minuit » comme celle de « Taratata » témoignent d’une baisse d’exigence.

Jean-Claude Renard  • 6 juin 2013 abonné·es

«D ans les conditions budgétaires actuelles, et parce que France 2 est une chaîne généraliste, cette émission ne peut plus continuer. » Tels sont, en substance, les termes employés par Philippe Vilamitjana [^2], directeur des programmes de France 2, pour justifier la suppression de l’émission « Des mots de minuit », diffusée le mercredi soir. Une émission constitutive de l’identité de la chaîne, que Philippe Lefait présentait depuis treize ans. « Taratata », émission musicale vieille de vingt ans, passe elle aussi à la trappe. L’argent prend ainsi le pas sur le contenu éditorial. Des décisions qui s’inscrivent dans la continuité des « allégements » de programmes sur France Télé, contraint de revoir ses budgets à la baisse.

En octobre, Aurélie Filippetti déclarait que la scripted reality n’avait pas sa place à France Télévisions. Six mois plus tard, la direction supprime « Des mots de minuit »…

Philippe Lefait : Ce sont deux choses différentes. D’un côté, il y a une façon de concevoir une télévision de divertissement, populaire, de qualité ; de l’autre, se pose la question de l’existence de magazines culturels, avec leur forme et l’exigence qu’ils peuvent avoir sur une chaîne généraliste. En tout cas, parmi les soutiens que nous recevons [^3], beaucoup disent payer précisément la redevance pour avoir droit à des émissions telles que « Des mots de minuit ».

On parle de coûts de production (64 000 euros le numéro) et d’audience (105 000 téléspectateurs en moyenne). Le service public doit-il s’en tenir à une logique comptable ?

Deux arguments justifieraient la suppression de « Des mots de minuit ». Le premier est financier. On peut estimer que 64 000 euros le numéro, avant rediffusion et avant viralisation sur le numérique, c’est cher par rapport au nombre de téléspectateurs. Je réponds à cet argument qu’entre la finance et l’audience il y a une notion qui s’appelle le service public et, par ailleurs, une programmation qui a toujours été tardive. D’autre part, du point de vue du service public, on peut estimer que 64 000 euros tout inclus, des locaux aux salaires, pour une émission produite en interne, ce n’est pas cher du citoyen. Car il convient de parler du citoyen et non d’un téléspectateur qui, dans le paysage audiovisuel, est d’abord ciblé comme un consommateur. La suppression de l’émission se justifie aussi par la stratégie de France 2, qui, dans son essence de chaîne généraliste, ne pourrait aligner trois magazines culturels : le nôtre, « Ce soir ou jamais », qui est pourtant une émission de débats, et « Grand Public », complémentaire de « Des mots de minuit ». Un argument plus contestable à mon sens. Et jamais notre ligne éditoriale ne nous a été reprochée !

Justement, pour en revenir à l’audience, celle de « Des mots de minuit » n’a-t-elle pas souffert de cette programmation tardive et fluctuante, quand on sait que le téléspectateur est attaché à un rendez-vous régulier ? 

En effet. Il y a plus de dix ans, mes prédécesseurs, Michel Field et Laure Adler, et moi sensibilisons la direction sur ce problème. La question se pose de façon plus aigue depuis l’avènement de la TNT. Comme toutes les émissions du groupe, nous avons été touchés par une érosion de l’audience. Nous avons alerté plusieurs fois sur cette programmation fluctuante. On nous avance l’argument de l’audience alors que, depuis vingt-cinq ans, à cet horaire, le « matelas » de téléspectateurs est autour de 150 000 personnes. Il n’y a jamais eu plus de monde à cette heure. Même si, à 1 h du matin, il y a malgré tout un grand public, celui qui exerce un travail aux horaires décalés, qui reste curieux, dans une société où le divertissement généralisé, aseptisé, et le ricanement sont devenus des modes d’être.

Qu’est-ce que la suppression de votre émission dit de la place de la culture sur la télévision publique et des missions du service public ?

Le groupe répondra que son spectre est suffisamment large, notamment avec France 5, pour couvrir la culture. Mais il me semble que trois magazines dits « culturels », aux formes et aux contenus différents, de mon point de vue, ce n’est pas trop. Cela représente peut-être environ 5 % des programmes de France 2. Pour prendre une image, le groupe France Télévisions est un piano à queue magnifique : il n’y a aucune raison de l’amputer de ses touches les plus inhabituelles, les plus graves ou les plus aiguës.

[^2]: Rappelons que le même Philippe Vilatmitjana, alors directeur des programmes de France 5, avait supprimé « Arrêts sur images » en juin 2007.

[^3]: Initiée par les téléspectateurs, une pétition contre la suppression de l’émission a été lancée sur le site appeldesappels.org

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