Phèdre en pleine lumière

Marie Piemontèse revisite la tragédie de Racine en explorant le symbolisme du Soleil. Une expérience numérique et littéraire hors du temps.

Anaïs Heluin  • 13 juin 2013 abonné·es

De Phèdre la classique, l’auteure et metteuse en scène Marie Piemontèse ne garde dans Phèdre le matin que quelques traits de caractère. Tout juste assez pour que l’on reconnaisse l’héroïne racinienne. Un rapport à la lumière, surtout, aussi ambigu que l’amour que la femme de Thésée nourrit pour son beau-fils Hippolyte. Car, dans la mythologie grecque, Phèdre est descendante d’Hélios, le dieu Soleil. Une parenté qui remonte à loin, et que le long monologue de Marie Piemontèse, interprété par Isabelle Lafon, interroge avec la douce intelligence d’un poème généalogique.

Sans rimes ni effets de style surannés, le texte nous ouvre l’intimité d’une photographe. D’une transformeuse de lumières, autrement dit, qui elle-même n’est que pixels lumineux projetés sur les murs d’une salle de théâtre. C’est elle la Phèdre contemporaine qui, dans Phèdre le matin, nous parle comme en aparté, qui nous rapporte ses malheurs comme à de vieux amis que la distance a séparés. Absente de la scène, retranchée dans ses réflexions et son désespoir, elle s’adresse au spectateur via un moyen de communication très branché : Skype. On sait donc d’emblée ce qu’elle est devenue, l’illustre petite-fille du Soleil. Un reflet coloré qu’un homme et une femme silencieux promènent de bon matin sur des surfaces blanches, devant un public encore hésitant entre le monde du rêve et celui du réel. Un pâle résidu des tragiques Phèdre antiques et classiques ? Du tout. La difficulté d’être au monde de la Phèdre de Marie Piemontèse, d’oser l’expérience au lieu de se réfugier dans les apparences, est tout aussi déchirante que l’intrigue amoureuse de Racine. Cette dernière n’est d’ailleurs présente dans la pièce que dans ses grandes lignes. L’objet de la tragédie s’est déplacé : il a perdu sa forte dimension sociale pour se loger dans la seule tête de la protagoniste.

**Expérience numérique,* Phèdre le matin* propose donc aussi une réflexion sur le devenir du tragique. Et ce sans aucune lourdeur théorique, par la seule grâce d’Isabelle Lafon, aussi éclatante d’une poésie dite au creux de la solitude que sombre d’un chagrin d’amour somme toute assez banal. Joué le matin, ce spectacle s’adresse à un spectateur presque aussi confus, flottant, que la figure de Phèdre. Le son d’un violoncelle et la présence mystérieuse du jeune couple prolongent cet état, de même que la possibilité de laisser des messages qui seront ensuite projetés aux côtés de l’image de la comédienne. Phèdre, c’est nous tous, communicants de nos propres états d’âme.

Théâtre
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