Finance contre démocratie

Moscovici a déclaré « excessif » le projet de taxe financière.

Dominique Plihon  • 25 juillet 2013 abonné·es

S’appuyant sur une directive de la Commission, un groupe de onze pays européens a décidé d’introduire la taxation des transactions financières (TTF) par la méthode de la coopération renforcée. Le projet de la Commission n’est certes pas parfait, mais il constitue un pas important et remporte le soutien de la société civile. Pendant sa campagne électorale, François Hollande s’était énergiquement prononcé en faveur de la TTF. Mais les banquiers sont passés à la contre-offensive. Goldman Sachs a déclaré la TTF « contre-productive ». Le Medef et la Fédération bancaire française affirment, eux, que la TTF sera « destructrice de richesse ».

Sous la pression des lobbies, la France fait machine arrière et rallie le camp des adversaires de la TTF. Lors de la dernière réunion du groupe de travail des onze pays, le 22 mai, Bercy a proposé de modifier le projet de la Commission sur des points essentiels, le réduisant à néant : exonération quasi-totale des transactions sur produits dérivés ainsi que sur les « repos [^2] » ; taxation des opérations après compensation, ce qui élimine la taxation du « trading à haute fréquence » ; taxation des seuls vendeurs, ce qui réduit encore de moitié les recettes fiscales attendues. Devant un parterre de banquiers, Pierre Moscovici confirme, le 12 juillet, le recul de la France en déclarant « excessif » le projet de la Commission. Un mois auparavant, le 15 juin, nous avions vécu le même scénario avec le vote de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Alors que la séparation des activités de banque de détail et de banque d’investissement faisait partie des promesses de François Hollande (engagement n° 7), le gouvernement a fait voter une loi dont les dispositions ont été largement dictées par le patronat bancaire et dont le dirigeant de la Société générale a lui-même déclaré qu’elles affecteront moins de 5 % de l’activité de son établissement. De ces deux reculs spectaculaires du gouvernement Hollande-Ayrault face au pouvoir de la finance, trois conclusions s’imposent.

Tout d’abord, la force de frappe des lobbies bancaires est considérable en France, comme ailleurs, car elle parvient à réduire de façon significative la portée des réformes pourtant promises aux électeurs. Ensuite, il existe une étroite collusion, et une grande consanguinité, entre les responsables politiques, la haute administration de Bercy et les élites financières. Ces décideurs sont diplômés des mêmes grandes écoles. Le projet des hauts fonctionnaires de Bercy est de rejoindre les rangs de ceux qu’ils sont supposés réguler… Il faudrait interdire à ces derniers d’exercer dans la banque pendant dix ans après leur sortie de Bercy.

Enfin, face au « mur de l’argent », la société civile est la seule force exerçant le rôle de contre-pouvoir que les grands partis politiques et les élus ne remplissent pas, comme l’ont montré la piteuse discussion de la loi bancaire au Parlement et le silence assourdissant des élus après le recul du gouvernement sur la TTF. Les moyens dont disposent Attac, le CCFD, Finance Watch… sont faibles par rapport à ceux du lobby bancaire. Mais le modeste David n’a-t-il pas fini par triompher d’un Goliath arrogant et finalement vulnérable ? 

[^2]: Prêts de très court terme entre banques.

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