Prêts toxiques : risque majeur pour les territoires

Patrick Saurin analyse les conséquences pour les collectivités locales des mesures du gouvernement destinées à résorber la facture de la chute de Dexia.

Patrick Piro  • 25 juillet 2013 abonné·es

Le 18 juin dernier, dans un communiqué de presse, le ministère des Finances a annoncé la mise en place d’un nouveau fonds de soutien pluriannuel destiné à aider les collectivités impactées par les prêts toxiques. En réalité, même si le ministère des Finances a réaffirmé « sa volonté d’apporter une solution pérenne et globale au problème des emprunts structurés les plus sensibles », ce projet dissimule un risque majeur pour les collectivités, qui consisterait à leur faire porter une partie des surcoûts en les privant de leur droit d’agir en justice. Ce projet, qui sera soumis au Parlement à l’automne 2013, conjugue imprécision et duplicité. Tout d’abord, aucun montant n’est avancé. Rappelons pour mémoire que le premier fonds de soutien prévu par le projet de loi de finances rectificative pour 2012 était doté de 50 millions d’euros… dont 25 millions prélevés sur le produit des amendes de police destinées aux collectivités territoriales. Le montant de ce fonds et sa composition témoignent de la légèreté et de la rouerie du gouvernement, quand l’on sait que Michel Klopfer estimait récemment le risque lié aux emprunts toxiques entre 15 et 20 milliards d’euros [^2].

Ensuite, si le ministère prévoit une contribution du secteur bancaire, à aucun moment il n’en détaille les modalités. Il prend soin de préciser son intention de « faciliter la conclusion de transactions entre les banques et les collectivités locales ou leurs groupements, sur une base acceptable par l’ensemble des parties », ce qui signifie en clair que les collectivités devront mettre la main au portefeuille.

Dexia est emblématique des folles dérives de la finance mondiale et de son sauvetage public, révèle un récent rapport de la Cour des comptes [^2]. Pour échapper à la faillite, le groupe bancaire privé franco-belge a fait l’objet d’interventions publiques dès octobre 2008, au point de devenir un gouffre sans fond. Les magistrats de la Cour des comptes pointent un « sinistre coûteux », dont « le coût direct s’élève pour la seule partie française à 6,6 milliards d’euros (2,7 milliards pour l’État et 3,9 milliards venant de la Caisse des dépôts) », à la charge des contribuables français. Les magistrats dressent aussi un réquisitoire contre les anciens dirigeants du groupe : la mise en cause de leur responsabilité « n’a été recherchée ni par les nouveaux dirigeants nommés en 2008, ni par les actionnaires déjà présents ou entrés au capital en 2008, ni par les États ». La Cour des comptes a aussi évalué les risques futurs qui tiennent à l’extinction de Dexia, au financement local et aux risques liés aux emprunts toxiques. Ils sont « susceptibles de provoquer des défauts de paiement ou des contentieux. S’ils se réalisent, ces risques pèseront sur l’État français, qui est aujourd’hui directement impliqué dans la structure d’extinction de Dexia ainsi que dans les entités publiques nouvelles », notamment la Société de financement local (Sfil), qui gère les encours toxiques de Dexia. Lire aussi : Dexia, une banque toxique, de Nicolas Cori et Catherine Le Gall, La Découverte, 2013. [^2]: « Dexia : un sinistre coûteux, des risques persistants », rapport de la Cour des comptes, juillet 2013.
Enfin, plus grave, cette opération s’accompagnerait d’une violation caractérisée du principe de non-rétroactivité des lois affirmé dans notre droit, puisque « ce nouveau plan tient compte également de la décision récente du tribunal de grande instance de Nanterre ». Ce qui signifierait que les télécopies matérialisant l’accord des parties avant la signature des contrats et ces mêmes contrats qui n’auraient pas mentionné le TEG (taux effectif global), pourtant obligatoire, en seraient rétroactivement dispensés.

Ainsi, la victoire du conseil général de Seine-Saint-Denis contre Dexia devant le TGI de Nanterre le 8 février dernier n’aurait donc été qu’un éphémère intermède de droit. La Société française de financement local (Sfil), porteuse des 9,4 milliards d’euros d’encours toxiques hérités de Dexia, ne serait pas la seule à trouver son compte dans cette validation rétroactive de transactions illégales, puisque toutes les banques françaises et étrangères dont les contrats ont omis le TEG bénéficieraient de cet aménagement du droit sur mesure. « Puisque le droit se retourne contre la Sfil et les banques, il faut changer le droit », ainsi pourrait-on résumer l’attitude du gouvernement en paraphrasant Brecht.

Naturellement, il serait demandé aux collectivités s’engageant dans ce dispositif de renoncer à toute action en justice contre les banques, lesquelles sortiraient une nouvelle fois exonérées de leurs responsabilités, encore une fois avec le secours de l’État.

Ainsi, pour les citoyennes et les citoyens, le combat contre les dettes illégales et illégitimes reste plus que jamais d’actualité. Face à la déloyauté des banques et du gouvernement, leur appui aux collectivités, aux hôpitaux et aux organismes de logement social contaminés par les prêts toxiques se doit plus que jamais d’être indéfectible pour refuser que les acteurs publics, et derrière eux les contribuables, assument les conséquences des agissements spéculatifs des banques.

[^2]: « Emprunts toxiques des collectivités : le jeu perdant-perdant de l’État », Michel Klopfer, le Monde, 3 juin 2013.

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