Tennessee Williams en clair-obscur

La mise en scène épurée de Claudia Stavisky redonne du lustre à Chatte sur un toit brûlant.

Anaïs Heluin  • 25 juillet 2013 abonné·es

Chaque été, aux Fêtes nocturnes de Grignan, un metteur en scène est invité à monter un spectacle qui, en deux mois, attire quelque 30 000 spectateurs. Jusqu’à l’an dernier, avec les belles Femmes savantes du Québécois Denis Marleau, seuls des auteurs classiques comme Molière, Shakespeare ou Goldoni étaient adaptés devant la façade du château victorien de la cité drômoise. Cette année, Claudia Stavisky, directrice des Célestins à Lyon, apporte au festival une touche de modernité en y présentant une pièce écrite au XXe siècle, Chatte sur un toit brûlant  (1955), de l’Américain Tennessee Williams. Un huis clos familial dont les mensonges et faux-semblants entrent subtilement en résonance avec le cadre de représentation. Déjà, la tombée de la nuit à laquelle assiste le spectateur s’accorde parfaitement avec l’intrigue de la pièce, elle aussi resserrée sur une fin de soirée d’été. Plus l’obscurité avance, plus les secrets de la famille Pollitt, rassemblée dans une demeure familiale pour fêter les 65 ans de Grand-Papa (Alain Pralon), se dessinent clairement. Dans Chatte sur un toit brûlant, la pénombre est synonyme de vérité, et la scénographie d’Alexandre de Dardel traduit habilement ce paradoxe. Durant la première partie, imbroglio d’intrigues tapies dans un demi-silence, la façade du monument est recouverte d’une haute paroi, cache-misère derrière lequel se trament les pires manigances.

D’abord, les stratégies de Gooper (Stéphane Olivié-Bisson) et de son épouse (Clothilde Mollet, délicieusement odieuse) pour s’approprier l’héritage de Grand-Papa, atteint d’un cancer en phase terminale. Puis les séances d’espionnage de Brick (Philippe Awat, très convaincant en alcoolique caractériel), le frère de Gooper, et de sa femme Maggie (Laure Marsac) par les deux intrigants, occasions de savoureux moments d’humour noir. De tout cela, on ne voit que ce qui déborde jusqu’à la chambre du couple central, Brick et Maggie. Un parti pris judicieux que de circonscrire toute l’action dans cette pièce qui cristallise la plupart des non-dits de la maisonnée. En découle une touffeur doublée d’érotisme latent, qui contraste avec l’aspect très ordonné, presque apaisant, de la chambre conjugale. En apparence du moins. Car le lit immaculé, le phonographe et l’armoire à liqueurs d’un luxe sobre qui servent de décor aux continuelles disputes du couple ne sont rassurants qu’à première vue. Ils s’opposent entre eux. Le lit symbolisant désir et amour tandis que les deux autres objets servent d’échappatoire à une relation amoureuse interrompue par un drame, et dont Brick et Maggie ne conservent que les signes extérieurs.

Excellente interprète de l’énergie du désespoir qui habite le personnage féminin principal, Laure Marsac joue l’effaceuse de contradictions alors qu’elle-même nourrit des intentions opaques. Derrière le long et excellent ** monologue d’ouverture lors duquel Maggie attaque les « monstres sans cou », autrement dit les enfants de sa belle-sœur, derrière sa constante agitation de chatte sur un toit brûlant, on peine à deviner quelle âme se cache. Idem pour Brick, dont Philippe Awat fait un quasi-mutique. Les autres personnages, au contraire, sont plutôt traités comme des types. Leur psychologie ne fait pas de mystère, elle est d’emblée révélée par un jeu appuyé. Toutefois, plus la nuit tombe et plus la paroi située devant la façade s’affine jusqu’à laisser apparaître la pierre, plus certains d’entre eux s’enrichissent de quelques nuances. Comme pour dire que le mensonge recouvre parfois de belles choses, de l’amour surtout. La mort, aussi, sans laquelle la vérité – et donc le château – serait restée dissimulée à jamais.

Théâtre
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