La non-écologie d’Ayrault

Il y a incompréhension de la crise actuelle par ce gouvernement.

Jérôme Gleizes  • 19 septembre 2013 abonné·es

« Changer de cap serait une erreur mais notre discours doit changer [^2] » . C’est à l’aune de cette déclaration du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, qu’il faut lire le texte « Vivement 2025 » qu’il a signé avec Cécile Duflot, Philippe Martin et Pascal Canfin [^3]. Les discours sur la centralité de l’écologie se succèdent, mais non les actes, notamment celui – important – du budget français. Les annonces anti-écologiques se sont multipliées : report de la loi sur la transition énergétique, de la fermeture de Fessenheim et de l’arrêt de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, de la taxation sur les poids lourds, maintien de la subvention au diesel, soutien à la filière de la malbouffe productiviste avicole…

Le discours qui consiste à ramener la question écologique à une question fiscale est un piège rhétorique pour enterrer plus subtilement l’écologie que ne l’avait fait Nicolas Sarkozy avec sa célèbre déclaration : « L’écologie, ça suffit ! » Quand le gouvernement supprime les niches fiscales sur la famille dans le même projet de budget, on ne parle pas de fiscalité punitive mais d’égalité sociale ! Pour le diesel, la suppression de la niche est uniquement une question de santé publique (15 000 morts par an)… et de compétitivité du secteur automobile français, enfermé dans un segment franco-français ! Tout comme les cotisations sociales ne sont pas des « charges » mais une internalisation de la protection sociale, la contribution climat-énergie est une internalisation de l’impact des gaz à effet de serre.

Il y a une incompréhension de la nature de la crise actuelle par ce gouvernement (et il n’est pas le seul !), de sa singularité (la fin du mode de production des Trente Glorieuses, l’incapacité de plus en plus grande à l’accumulation physique du capital à cause de la raréfaction des matières premières) et des impacts du productivisme sur les climats et par conséquent sur les écosystèmes, la production agricole et les mouvements migratoires. Le nucléaire français ne protège pas son industrie, qui continue inexorablement à diminuer dans le PIB, alors qu’en Allemagne la sortie du nucléaire, notamment par Siemens, contribue au renforcement de sa compétitivité en permettant de développer de nouveaux secteurs industriels.

Le gouvernement maintient sa ligne d’amélioration de la compétitivité-prix, de baisse du « coût » du travail, espérant concurrencer les pays à bas salaires. Son incompréhension l’empêche de choisir comme priorité le changement réel du modèle productif français, alors que, dans les discours comme les 34 projets d’investissement d’avenir, l’intention est là ! Un mode de production écologique améliore la résilience d’une économie, sa capacité à résister aux crises, en territorialisant la production, en réduisant les déchets à travers l’économie circulaire, en réduisant la consommation des matières premières avec l’économie de la fonctionnalité. Comme l’économie allemande le montre, l’écologie crée plus d’emplois, des emplois de meilleure qualité, avec moins de précarité. Dans ce contexte, l’ultimatum de Pascal Durand, à la veille de la conférence environnementale, prend toute sa signification : un devoir de lucidité face à la nécessité d’une réaction gouvernementale.

[^2]: Stéphane Le Foll, le Monde, 9 juillet 2013.

[^3]: Voir le Journal du dimanche du 18 août 2013.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes