La société des rigolos

J’aime quand les journalistes s’appliquent à lécher la main qui les nourrit.

Sébastien Fontenelle  • 19 septembre 2013 abonné·es

L’autre jour, t’as vu, Hervé Kempf a annoncé qu’il quittait le Monde, où il estime avoir été censuré : il accuse la hiérarchie du « quotidien de référence [^2] » de l’avoir empêché d’enquêter sur Notre-Dame-des-Landes. Immédiatement, la Société des rédacteurs du Monde  (SRM) a confectionné un scandalisé communiqué pour cacaber que ces propos « portaient atteinte à la crédibilité » du titre, genre leee Mooonde ouuutraaagé ! Leee Mooonde briiisééé ! Leee Mooonde maaartyyyriiisééé ! Perso, j’ai trouvé ça totalement bouleversant : j’aime quand des journalistes s’appliquent à lécher la main qui les nourrit. (Par exemple, j’ai rarement été aussi ému que le jour où le Figaro a fait le choix d’occulter complètement que Serge Dassault avait des petits ennuis du côté de Corbeil-Essonnes.)

Quelques jours plus tard, je lis, comme tous les après-midi (ça fait plusieurs années que j’essaye d’arrêter, mais ces putains de patchs ne fonctionnent décidément pas), l’édito du Monde, justement (ça m’aide à prévoir ce dont Poujadasse parlera le soir dans son jité), et je tombe sur cette phrase délicieuse : « Le premier, François Hollande aura brisé l’un des tabous les plus puissants de la gauche en s’attaquant à la dépense publique. » (Je te la remets, pour si t’aurais pas eu le temps de la noter sur ton petit calepin : « Le premier, François Hollande aura brisé l’un des tabous les plus puissants de la gauche en s’attaquant à la dépense publique. » ) Diantre, me dis-je : que je sois damné si cette ridicule profération n’est pas directement piochée dans la besace où le patronat serre ses clichetons propagandaires.

Puis je m’ajoute : voilà qui va sans le moindre doute fâcher tout rouge la SRM, parce que bon, vigilants comme on les sait depuis qu’ils ont durement réprimandé Kempf, on s’étonnerait quand même beaucoup que ces gens ne s’offusquassent point [^3] que leur chefferie psalmodie publiquement de si tétanisantes conneries. I mean  : si t’es pour de bon attaché à la crédibilité de ton canard, le moins que tu puisses faire est de ne pas l’abandonner aux idéologues fol(le)s qui le confondent avec la tribune d’où Pierre Moscovici lance vers le Medef des serments d’allégeance – oui ou non ? (Oui ou t’as vraiment pas de face ?)

Mais, au jour où j’écris ces lignes, force m’est de constater que les rédacteurs du Monde n’ont toujours pas réagi aux divagations de leur éditorialiste (anonyme). Et, bien sûr, je n’en tire aucune conclusion hâtive – du style, mais quelle bande de rigolos. Je sais très bien que ces rigoureux professionnels ont énormément de travail ces temps-ci : c’est pas évident de confectionner jour après jour des papiers qui ménagent la susceptibilité de Pierre Gattaz. Mais, tout de même, je trouverais utile qu’ils ne tardent plus trop à dire leur exaspération : il y va [^4], je rappelle, de la crédibilité de leur journal. 

[^2]: Comme on l’appelle encore dans les couloirs du Medef.

[^3]: Et ouais, mon gars. Vingt ans de Bescherelle.

[^4]: Ou s’il faut plutôt dire : il en va ?

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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