Les effets pervers d’un accord

L’interdiction des armes chimiques ne doit pas favoriser l’intensification des bombardements sur la population.

Denis Sieffert  • 19 septembre 2013 abonné·es

On devrait se réjouir sans restriction de l’accord américano-russe qui enjoint au régime de Damas d’accepter la mise sous contrôle international de son arsenal chimique. On le devrait car, même si sa faisabilité paraît plus que douteuse, l’accord négocié entre le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et le secrétaire d’État américain, John Kerry, va au moins dissuader Bachar al-Assad de recourir à ce type d’armes.

Mais l’accord risque d’avoir un effet pervers qui n’est que trop évident. La grande crainte de l’opposition, c’est évidemment que la communauté internationale s’en tienne là pour solde de tout compte. Autrement dit, que les grandes capitales laissent à présent les mains libres au dictateur syrien pour continuer de massacrer, à condition que ce soit avec des armes conventionnelles. C’est sans doute l’interprétation qui prévaut à Damas. Le ministre syrien de l’Information, Omrane al-Zohbi, s’est d’ailleurs empressé de souligner que l’accord de Genève est « une victoire pour la Syrie ». En revanche, l’opposition a évidemment exprimé ses craintes. C’est pourquoi, faute d’obtenir un armement que les pays occidentaux lui refusent depuis le début du soulèvement, la Coalition nationale syrienne a demandé, dimanche, que « l’interdiction des armes chimiques, dont l’usage a fait plus de 1 400 morts parmi les civils, soit étendue à l’utilisation des missiles balistiques et de l’aviation contre les zones habitées ». À ce stade, cette demande semble avoir peu de chances d’aboutir. L’autre effet pervers de ce désengagement qui, finalement, arrange bien Barack Obama et François Hollande, c’est que les pourvoyeurs d’armes pourraient continuer à agir. D’un côté, la Russie pourra continuer d’alimenter l’armée de Bachar, et de l’autre, l’Arabie saoudite et le Qatar pourront continuer d’apporter à la rébellion une aide sélective qui renforce les jihadistes. Le renforcement de ces derniers alimentant en retour le scepticisme des opinions occidentales. La campagne d’opinion qui vise à accréditer l’idée que la rébellion est à présent entièrement aux mains des jihadistes est une des grandes victoires du régime de Damas. Pourquoi aider des groupes dont l’objectif est d’établir un califat ? À cet égard, une étude menée par l’institut IHS Jane’s, et dont des extraits ont été publiés dans le quotidien britannique Daily Telegraph, apporte un démenti à ce discours largement relayé dans les médias occidentaux. Selon cette étude, les jihadistes et les « groupes extrémistes » forment près de la moitié des forces rebelles.

L’ironie de l’histoire, c’est que cet institut a sans doute pour objectif de conforter l’idée que les jihadistes prennent le pouvoir au sein de l’insurrection. Mais elle démontre tout autant que la bataille d’influence reste encore à mener pour favoriser les courants laïques. Même s’il faut bien comprendre la complexité de la situation sur le terrain. Les contours des groupes sont d’autant plus difficiles à dessiner que des modérés sont souvent contraints de s’allier à des jihadistes mieux armés qu’eux. Mais l’étude de l’institut IHS Jane’s, quelles que soient ses intentions, montre tout de même que le rapport de force ne cesse d’évoluer en faveur des jihadistes au sein de l’opposition. Cela aussi c’est la responsabilité des Occidentaux.

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