Allemagne : La grande coalition entre les mains des militants

Le SPD a conclu un accord de gouvernement avec le parti de Merkel,soumis au vote des adhérents. Correspondance de Berlin, Rachel Knaebel.

Rachel Knaebel  • 5 décembre 2013 abonné·es

«Ce sont les plus pauvres des travailleurs qui profiteront de cet accord », assurait Andrea Nahles, secrétaire générale du parti social-démocrate allemand (SPD), le 29 novembre à Dresde, en Saxe. Depuis la signature d’un accord de gouvernement entre le SPD et les conservateurs (la CDU d’Angela Merkel et le parti de droite bavarois CSU), le 27 novembre, les responsables sociaux-démocrates arpentent le pays pour en faire la promotion auprès de leurs militants. Car le SPD a soumis à condition sa participation à une nouvelle « grande coalition » : la majorité de ses 470 000 adhérents devra se prononcer pour [^2]. C’est une première dans l’histoire de la République fédérale allemande. Les militants ont jusqu’au 12 décembre pour transmettre leur décision à la centrale du parti. En cas de « oui », Merkel sera réélue chancelière par le Bundestag le 17 décembre, près de trois mois après les élections.

À Dresde, dans l’est de l’Allemagne, où les salaires sont particulièrement bas, la secrétaire générale du SPD insiste sur la principale réussite de son parti dans les négociations avec Merkel : « Nous avons obtenu un salaire minimum à 8,50 euros, pour tous. » La création d’un salaire minimum interprofessionnel, inexistant en Allemagne, était l’un des enjeux majeurs des législatives du 22 septembre. Les partis de gauche le demandaient, la droite n’en voulait pas. Les sociaux-démocrates ont finalement réussi à en imposer le principe, mais seulement à partir de 2015, et avec des exceptions : il ne sera universel qu’en 2017. D’ici là, les salaires minimums de branches inférieurs à 8,50 euros brut de l’heure seront toujours valables. Les aides-soignants ou les vigiles, par exemple, devront attendre trois ans avant de voir leurs revenus augmenter un peu. Et le niveau de ce Smic à l’allemande ne sera revalorisé qu’en 2018. Cette avancée sera-t-elle suffisante pour convaincre les militants ? Le risque est grand. Si l’accord est approuvé, le SPD fera partie du gouvernement dans la troisième grande coalition qu’aura connue le pays depuis l’après-guerre [^3]. Mais la dernière fois que le SPD a gouverné aux côtés de Merkel, de 2005 à 2009, l’expérience a valu aux sociaux-démocrates le plus bas score de leur histoire, aux législatives de 2009, avec 23 % des voix. En septembre, ils ont récolté à peine mieux : 25,7 %. « Avec seulement 25 %, on ne peut évidemment pas obtenir tout ce qu’on revendiquait dans notre programme. Dans une négociation, il faut trouver un entre-deux », analyse Gerd Habenicht, venu écouter les arguments d’Andrea Nahles à Dresde. Le compromis est de mise dans le système politique allemand. Même avec ses 41,5 % obtenus en septembre, et 311 sièges au Bundestag sur 631, Merkel n’a pas de majorité. Comme ses anciens alliés libéraux n’ont pas dépassé le seuil des 5 %, indispensable pour conserver leur groupe au Parlement, elle a dû faire des concessions en direction des sociaux-démocrates pour pouvoir former un gouvernement.

Outre la question du Smic, le SPD peut se targuer d’avoir obtenu une avancée sur les retraites : le droit de partir à 63 ans pour les travailleurs ayant cotisé 45 années, dans lesquelles des périodes de chômage peuvent compter. C’est un retour modéré sur la réforme adoptée en 2007, quand le SPD gouvernait déjà avec Merkel, qui avait repoussé l’âge légal de 65 à 67 ans. « Nous voyons clairement la signature du SPD dans cet accord », conclut Gerd Habenicht, qui compte voter pour la grande coalition. Mais la droite allemande n’a pas cédé sur tous les fronts. Et a gagné sur celui de la fiscalité. « Nous avons vu très vite que nous ne pourrions pas imposer les hausses d’impôts sur les très hauts revenus et le patrimoine », explique Andrea Nahles aux militants est-allemands. Le résultat est également mauvais sur la transition énergétique. L’accord prévoit 55 à 60 % d’électricité issue des énergies renouvelables d’ici à 2035, contre 75 % dans le programme du SPD. La loi de soutien aux énergies vertes (EEG) doit par ailleurs être réformée à l’été 2014, avec l’objectif de supprimer en grande partie les tarifs avantageux d’achat de l’électricité éolienne, photovoltaïque ou issue de la biomasse. Autre point noir : aucune remise en question de la place du charbon dans le mix énergétique allemand (plus de 40 % de l’électricité aujourd’hui). Si ce futur gouvernement alliant conservateurs et sociaux-démocrates voit le jour, il ne faudra pas en attendre de changement de cap en matière européenne. Pour lutter contre la crise, l’accord signé le 27 novembre mise sur « plus de compétitivité et des réformes structurelles » dans tous les États membres de l’UE. « Le compromis sur le salaire minimum est une bonne chose, mais je ne suis pas sûre de voter pour cette coalition, confie Johanna Stahlmann, 25 ans. Je suis déçue des résultats sur la transition énergétique, sur le droit d’asile et sur la protection des données personnelles. » Vives au moment où les négociations avec Merkel ont commencé, les voix des opposants à la grande coalition se sont faites plus discrètes depuis l’annonce de l’accord. La perspective de gouverner une nouvelle fois aux côtés d’Angela Merkel ne fait pourtant pas l’wunanimité. « Dès le début, j’étais contre le fait que le SPD négocie avec la CDU. Je suis contre l’accord aujourd’hui », témoigne Marlies Volkmer. Cette femme de 66 ans est agacée de ce qu’elle vient d’entendre à Dresde. Elle a siégé pour le SPD au Bundestag de 2002 à 2013 et ne s’est pas représentée. « Nous ne pourrons pas mettre en œuvre une politique sociale-démocrate avec Merkel. Nous ne pourrons changer les choses qu’avec une majorité de gauche. Et cette majorité, nous l’avons aujourd’hui au Bundestag », souligne-t-elle. Le SPD, les Verts et Die Linke réunissent 320 sièges au Parlement, soit une majorité de neuf députés sur le parti de Merkel. Un gouvernement d’union de la gauche est donc théoriquement possible. Mais le SPD l’a exclu à la sortie des élections. « Si l’accord de grande coalition est refusé par les militants, c’est encore réalisable », veut croire Marlies Volkmer.

Jusqu’au mois dernier, le SPD refusait toute discussion avec Die Linke. Les sociaux-démocrates ont revu leur position lors de leur dernier congrès, mi-novembre, et accepté la perspective de s’ouvrir à la gauche radicale. Mais seulement à partir des prochaines législatives. Aujourd’hui, si les militants rejettent la coalition, trois éventualités existent : une alliance d’Angela Merkel avec les Verts, un gouvernement minoritaire des conservateurs ou de nouvelles élections. Dans ce dernier cas, le parti libéral pourrait récolter, cette fois, assez de voix pour revenir au Bundestag. Et permettre à Merkel de diriger un gouvernement tout à fait de droite.

[^2]: Avec une participation minimale de 20 %.

[^3]: La première a eu lieu entre 1966 et 1969.

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