Fralib : l’avenir en coopérative

Depuis trois ans, les salariés de Fralib luttent pour relancer la production de thés et d’infusions sur le site de Gémenos. Leur projet est jugé viable, mais le groupe Unilever s’obstine à le contrecarrer.

Thierry Brun  • 5 décembre 2013 abonné·es
Fralib : l’avenir en coopérative

Dans la zone d’activité de la plaine de Joucques, à Gémenos (Bouches-du-Rhône), les vastes bâtiments du site de la Française d’alimentation et de boissons (Fralib) en imposent. La plateforme de conditionnement de thés et d’infusions, capable de produire pour l’Europe entière, a pourtant été abandonnée par le groupe agroalimentaire anglo-néerlandais Unilever. Les locaux sont presque aussi impressionnants que ceux, juste en face, de Gemalto, leader mondial de la sécurité numérique. Le site de Fralib est surtout repérable par les bombages « Fralib à Gémenos », « Fralib vivra. Non à la fermeture », et par le grand logo de la célèbre marque Éléphant. Près de l’accès réservé aux visiteurs, un panneau avec l’inscription Unilever et une flèche orientée vers le fond d’un bidet posé à même le sol donne le ton de la lutte des salariés. Plus loin, les murs du local administratif sont recouverts de portraits du Che et de slogans. La mobilisation sociale n’a pas faibli depuis 2010, lorsque la multinationale de l’agroalimentaire Unilever a annoncé la fermeture du site de Gémenos et la suppression des 182 emplois. Les salariés exigent aujourd’hui que la multinationale participe à la revitalisation du bassin d’emplois et au projet de Coopérative ouvrière provençale de thés et infusions (scop TI) des Fralib.

C’est dans le local administratif, équipé d’une machine à café, que les salariés accueillent les visiteurs, et parfois un sous-traitant. Chaque semaine s’y tient aussi une assemblée générale pour discuter de l’intendance, du fonctionnement du comité d’entreprise et de la répartition des uns et des autres pour intervenir dans des meetings, ou participer à des manifestations diverses. « Il faut en permanence se mobiliser », souligne Olivier Leberquier, délégué syndical CGT et un des piliers de la lutte des Fralib, souvent rendu par monts et par vaux. « On n’a pas de planning bien établi, mais des camarades viennent ici tous les jours. On est pressés de faire fonctionner la coopérative », confie Omar Dahmani, cariste logistique, qui approvisionnait les lignes de production en matières premières. « On ne reste pas les bras ballants. On fait de la maintenance sur les machines pour qu’elles puissent fonctionner demain. On a aussi démontré que nous étions capables de produire », assure Henri Soler en montrant les machines de conditionnement de thés et d’infusions naturelles et aromatisées. Dans l’usine, une quarantaine de machines sont alignées en « îlots » et « stations » capable de produire près de 4 000 tonnes annuelles, comme le détaille une étude de décembre 2012 sur la reprise de Fralib en coopérative (scop). Un « atout stratégique de première importance », ajoutent les auteurs de ce projet, qui a reçu dès août 2012 un accueil favorable de l’Élysée. François Hollande a depuis confié au ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, « la mission de se saisir du dossier », rappelant « son attachement à une résolution rapide et équilibrée du conflit ».

Les locaux ont ainsi été rachetés par la communauté urbaine de Marseille, et le parc de machines lui a été cédé pour un euro symbolique. « L’outil de travail reste d’un très bon niveau », certifient les experts du cabinet Progexa, qui ont réalisé une étude à la demande du comité d’entreprise de Fralib. Opérateurs et mécaniciens ont ainsi remis en marche des machines en septembre pour une production militante destinée à la Fête de l’Humanité. « On a vendu 5 000 boîtes de tilleul. Nous sommes en train de préparer une nouvelle production. Cela permet de garder l’envie de travailler, le savoir-faire, et de maintenir le contact entre les collègues », explique Marie, contrôleuse qualité, quarante ans de maison, qui vient de Marseille trois fois par semaine. Dans le laboratoire, une quinzaine de salariés équipés de gants en latex font du « dépouillage »  : « On a acheté une production de tilleul bio venant de Buis-les-Baronnies, et on a fait du conditionnement. Mais les sachets n’ont pas le poids requis. Donc, on récupère le produit. Il sera tamisé et servira à une prochaine production militante », explique Marie. « Il y a toujours 5 % à 10 % de déchet, de produits dont le sachet n’est pas bon, ou éjecté par la machine, précise Omar Dahmani. Ce qu’on fait ici, c’est ce qu’Unilever faisait faire aux travailleurs handicapés avant 2007. Puis le groupe a décidé d’arrêter et de tout mettre à la poubelle. Nous, on recycle et on remet ces “déchets” dans la production. »

Les Fralib gardent bon espoir avec les productions militantes. Mais, après trois années de lutte, une récente décision de la multinationale a mis la plupart d’entre eux au chômage. « Nous sommes dans une situation exécrable. On a gagné toutes les procédures. Le 28 février, une décision de la cour d’appel dit qu’une quatrième procédure doit commencer avec l’ensemble des salariés concernés. Mais, au lendemain de cette décision, Unilever décide, à tort, de licencier le personnel ! », dénonce Omar Dahmani. Ce énième obstacle n’a pas entamé la détermination collective des « 76 personnes restées dans le collectif, dont 72 sont partantes pour créer la scop, projet qui tient la route avec 103 emplois et seulement 1 000 tonnes de production au démarrage », détaille Henri Soler, cariste « produits finis », qui était chargé de l’expédition pour le marché français et pour quelques pays européens.

Le délégué syndical CGT attend « des pouvoirs publics et d’Unilever qu’ils prennent leurs responsabilités et viennent autour de la table discuter des conditions de reprise de l’activité. En 2000, Unilever avait cédé pour un franc symbolique les machines et l’usine du site de Dissay, dans la Vienne. À l’époque, le groupe avait aussi cédé les marques Royco et Chocky ». Or, dans ses communiqués, la direction du groupe refuse catégoriquement de céder la marque Éléphant aux Fralib et de participer au projet de reprise des syndicats (CGT et CFE-CGC), au motif que le site n’est pas viable sans « la marque et des volumes de sous-traitance d’Unilever ». Pourtant, « les trois ans de blocage d’Unilever ont coûté, selon nos estimations, 60 millions d’euros. Rien n’est sorti en production, alors que le motif économique de fermer l’usine n’est pas avéré », rappelle Henri Soler, qui fait visiter sa zone de travail et est prêt à redémarrer.

Olivier Leberquier oppose aux arguments de blocage d’Unilever que les études sur le fonctionnement de la coopérative ont été actualisées : « En trois ans, on a appris beaucoup et réuni de monde autour de notre projet alternatif. » La coopérative a ainsi rallié dans ses rangs un spécialiste de l’agroalimentaire et de la grande distribution, indique l’union régionale des scop Paca-Corse, qui note que « les approvisionnements ont été sécurisés et de nouvelles perspectives mises en avant ». Des partenariats entre la coopérative et d’autres entreprises des Alpes-de-Haute-Provence, comme Agro’ Novae, ont été établis. « Mais il faut qu’on ait les moyens pour relancer », explique Olivier Leberquier. Le projet des Fralib prévoit 5 millions d’euros pour le fonds de roulement et les investissements nécessaires au démarrage, avec une participation d’Unilever et son engagement de fournir un volume de 400 tonnes la première année. « Une goutte d’eau dans l’océan », comme le relève Omar Dahmani. Car Unilever, « c’est 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 7,1 milliards de bénéfices ».

Travail Économie
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