La gauche du PS râle mais ne rompt pas

La dérive droitière impulsée par François Hollande a pris de court la gauche du PS. Empêtrée dans ses jeux d’appareils, piégée par les institutions, elle peine à être simplement audible.

Pauline Graulle  • 23 janvier 2014 abonné·es

Image d’archives. Le 6 mai 2012 au soir, Pouria Amirshahi et Jérôme Guedj apparaissaient sur la scène de la Bastille ; au plus près de François Hollande, ces deux futurs députés, visiblement heureux, applaudissaient à la victoire du héros du jour, ovationné par la foule. Moins de deux ans après, leur déconvenue est aussi rude que l’espoir était grand. Depuis la conférence de presse du Président, le premier n’exclut plus de rompre avec le chef de l’État. Le second raconte sur son blog qu’il en a perdu le sommeil. À la gauche du PS, une demi-douzaine de députés – Pouria Amirshahi, Fanélie Carrey-Conte, Nathalie Chabanne, Pascal Cherki, Jérôme Guedj, Barbara Romagnan… –, mais aussi la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann ou le conseiller régional Emmanuel Maurel n’hésitent plus à exprimer ouvertement leurs réticences face à la politique menée par celui qu’ils ont fait élire.

« Ce n’est pas parce qu’on est au PS qu’on doit rester le petit doigt sur la couture du pantalon », lance, bravache, Emmanuel Maurel, chef de file du courant le plus à gauche du parti : Maintenant la gauche (MLG). Mais cette opposition interne cherche encore les moyens d’agir. « En ce moment, au PS, résume Pouria Amirshahi, il y a deux camps : ceux qui se résignent, et ceux qui ne se résignent pas mais ne sont pas en situation de peser. » Un malaise résumé par ce curieux tweet de Pascal Cherki : « La responsabilité d’un député socialiste est d’accompagner le gouvernement même dans ses échecs, tout en lui indiquant comment les éviter. » L’annonce du pacte de responsabilité a fini de désespérer tout ce petit monde. « Nous ne sommes pas surpris, c’est dans la continuité de la politique menée, qui avalise tous les traités européens », soupire Guillaume Balas, animateur du courant de Benoît Hamon, Un monde d’avance (UMA). Reste que le pacte est une énième goutte d’eau, après le TSCG, l’accord national interprofessionnel (ANI), la réforme des retraites, la hausse de la TVA… « Ce pacte n’est ni social ni démocrate, s’insurge Barbara Romagnan. Il va à l’encontre du contrat passé avec les Français pendant la campagne présidentielle et sera imposé par le 49.3. C’est un scandale démocratique ! » « Sur le fond, j’ai un désaccord de diagnostic avec cette idée que le problème numéro un serait le coût du travail, alors que le vrai problème est la rémunération du capital », ajoute Pouria Amirshahi, qui accuse le gouvernement de se mettre « entre les mains du cupide Medef ». « La baisse des dépenses publiques ne peut avoir qu’un effet récessif, poursuit Emmanuel Maurel. Quant au coût du travail, cela fait des décennies qu’on le baisse et ça ne crée pas plus d’emplois. »

L’aile gauche du PS a beau pousser des cris d’orfraie, elle n’a jusqu’à présent – et les vœux de Hollande en sont l’édifiante illustration – pas su trouver les leviers pour se faire entendre. La voie parlementaire ? Les quelques courageux qui se sont risqués à voter contre le TSCG ou la réforme des retraites se sont exposés à des mesures de rétorsion et des mises au placard. L’appel à la création d’une CSG progressive, bien que signé par 74 députés socialistes (dont la totalité de ceux de l’aile gauche), n’a pas non plus fait mouche auprès du gouvernement, qui ne cesse de repousser la réforme fiscale promise. La sensibilisation de la base militante ? « J’ai fait 120 meetings, envoyé de l’info à nos 12 000 contacts, publié dans des revues, sur mon blog, écrit des livres, plaide Gérard Filoche, l’une des figures de MLG. On fait notre boulot : dire haut et fort qu’on va dans le mur ! » Mais cela n’a pas fait dévier le gouvernement de sa trajectoire. Reste l’option de la sortie pure et simple du PS. « On ne va pas laisser en déshérence un parti où des milliers de militants pensent comme nous », se défend Marie-Noëlle Lienemann. « Nous sommes socialistes, complète Emmanuel Maurel. Ce qu’on veut, c’est simplement que Hollande respecte ses engagements de campagne et son discours du Bourget. »

D’autant que personne n’a envie de rejoindre Jean-Luc Mélenchon : « On aboie tous, dehors comme dedans, mais personne n’arrive à faire changer les choses, et surtout pas lui », grince Gérard Filoche, qui voit dans l’ancien camarade un diviseur plus qu’un allié. L’aile gauche se retrouve coincée. À quelques mois des européennes – où Guillaume Balas et Emmanuel Maurel ont été investis à des positons éligibles –, se brouiller trop franchement avec la ligne officielle pourrait faire mauvais genre. Refuser de voter la confiance demandée par le stratège Hollande équivaudrait à une déclaration de guerre conduisant à la sortie de la majorité. « Nous sommes piégés par la Ve République, analyse Pouria Amirshahi. Cette injonction à la loyauté du vote de confiance n’est autre que du chantage. » À court terme, la gauche du PS entend donc peser par tous les moyens pour faire évoluer le pacte de responsabilité. « Il faut qu’on se batte avec les syndicats pour exiger des contreparties. Je pense vraiment qu’il peut y avoir des avancées si les parlementaires retouchent le texte à l’issue de la conférence sociale », estime Guillaume Balas. L’hypothèse fait doucement rigoler Gérard Filoche : « Le patronat, qui ne souhaite qu’une chose, le retour de la droite, ne jouera jamais le jeu des contreparties ! Et même s’il le voulait, il ne pourrait rien garantir, car il est tenu par la finance. »

À plus long terme, une stratégie se dessine pour reprendre la main sur un PS atone et soumis. « Il faut mener la baston à l’intérieur du parti », estime Emmanuel Maurel, qui demeure évasif sur la manière de procéder. « Pour lutter contre la domination dans le socialisme de la ligne sociale-libérale, précise Guillaume Balas, le combat idéologique doit se mener à l’intérieur d’un nouvel arc de forces de la gauche qui ne veut pas de la défaite de François Hollande ». Autrement dit, sans Jean-Luc Mélenchon. Pouria Amirshahi propose, lui, un regroupement de la gauche du PS, éclatée depuis le congrès de Toulouse, afin de « donner le signal que, face à la logique économique portée par le parti, il existe une autre cohérence ». Un projet de texte commun est en préparation, qui viendrait faire converger MLG, des « hamonistes », mais aussi une partie de la motion portée par Pierre Larrouturou et feu Stéphane Hessel. « C’est toujours bien de produire un texte, même qui ne mange pas de pain, car beaucoup de gens attendent un signe collectif de notre part, mais il faut ouvrir des perspectives au-delà, sur les RTT, la transition énergétique », juge Barbara Romagnan. « De toute façon, on ne gagnera pas en interne sans un rapport de force social puissant », renchérit, fataliste, Gérard Filoche.

Politique
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