Le bilan de la troïka

Les facteurs d’instabilité se sont exacerbés.

Liêm Hoang-Ngoc  • 27 février 2014 abonné·es

La troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne, Fonds monétaire international) a été mise sur pied par les États de la zone euro afin de fournir une assistance financière à quatre pays : Chypre, Grèce, Irlande et Portugal. Ces pays ont rencontré, à partir de la fin 2010, des difficultés pour financer leur dette publique car les marchés leur demandaient des taux de plus en plus élevés. Des aides bilatérales furent donc octroyées par certains États, dont l’Allemagne et la France. L’Allemagne proposa de mobiliser le FMI, dont les États demandeurs sont par ailleurs adhérents. Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilité (MES) furent ensuite créés. En contrepartie des aides, un mémorandum était négocié dans chaque pays pour définir la politique à suivre et renouer au plus vite avec le financement de la dette par le marché. La Commission européenne était maîtresse d’œuvre et la BCE mettait son expertise au service de l’ouvrage. L’action de la troïka suscite au moins deux types d’interrogations.

Premièrement, le contrôle démocratique des propositions faites aux États. Au sein même de la troïka, les désaccords manifestes entre le FMI, la BCE et la Commission n’ont été délibérés dans aucune instance démocratique. Le Parlement européen n’a jamais été consulté. C’est en réalité à l’Eurogroupe, instance informelle du Conseil, où la voix de l’Allemagne prime, que les décisions importantes furent prises. Par ailleurs, la base juridique justifiant la participation de la Commission et de la BCE, institutions communautaires, à une structure intergouvernementale telle que la troïka fait débat, si l’on fait référence au Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). La BCE a notamment outrepassé ses prérogatives en imposant ses vues en termes de politique budgétaire et de restructuration des secteurs bancaires irlandais, chypriote et grec.

Cette absence de légitimité est d’autant plus grave que les politiques, imposées le pistolet sur la tempe, font l’objet de nombreuses controverses. Quatre d’entre elles peuvent être mentionnées. 1. La dette grecque aurait pu être restructurée immédiatement pour éviter l’impact récessif d’une austérité budgétaire trop brutale. Telle était la position du FMI, qui avait révisé à la hausse ses estimations du multiplicateur budgétaire et qui privilégiait plutôt la solution d’une dévaluation interne. 2. La BCE a dégainé sont bazooka (la menace de racheter les titres souverains soumis à spéculation des marchés) trop tardivement pour éviter la contagion du Portugal et de Chypre. 3. La combinaison d’une austérité budgétaire sévère et d’une dévaluation interne (à savoir d’une baisse des salaires) a plongé la Grèce et le Portugal dans une récession durable. 4. Le plan de sauvetage du secteur bancaire irlandais a pesé quasi exclusivement sur le contribuable et a préservé les intérêts des détenteurs seniors d’obligations bancaires. Certes, le Portugal et l’Irlande ont à nouveau accès aux marchés pour financer leur dette. Mais les facteurs d’instabilité présents lorsque l’assistance fut demandée se sont partout exacerbés. La croissance reste atone, les taux d’endettement se sont envolés, le chômage, la pauvreté et les inégalités ont explosé.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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