Un pacte avec qui ?

Après avoir singé la finance états-unienne, la France rêve désormais d’une voie industrielle à l’allemande.

Gérard Duménil  • 20 février 2014 abonné·es

« Troisième voie », « social-démocratie »… Maintenant le « socialisme de l’offre » et le « pacte de responsabilité », dont la mesure phare est le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Les entreprises déduiront de leurs impôts les cotisations familiales sur les salaires (au-dessous d’un certain plafond) ; le manque à gagner pour la Sécurité sociale sera compensé par des économies et une hausse de certains impôts. Cette mesure devrait représenter une diminution du coût du travail pour les employeurs de l’ordre de 6 %, donc les pousser à embaucher et à moins délocaliser.

Les performances de l’économie allemande fascinent. Au-delà de la récession de 2009, l’industrie de l’Allemagne poursuit sa progression et le commerce extérieur du pays affiche un large excédent ; le contraste est saisissant avec l’industrie française, dont l’avancée s’est fortement ralentie et qui ne s’est pas encore remise de la crise [^2]. Entre 2003 et 2005, l’Allemagne a lancé un vaste programme antisocial, les lois Hartz, du nom du conseiller du chancelier Gerhard Schröder, visant à diminuer le coût du travail. Lui imputer l’écart des performances est facile. La France lui emboîte le pas : elle va poursuivre sa politique visant à diminuer les charges des entreprises.

Ce diagnostic ignore tout des différences entre les économies des deux pays [^3]. Les entreprises allemandes ont su préserver la trajectoire industrielle de leur économie, alors que la France s’est engagée sur les voies de la financiarisation à outrance. En France, dès le milieu des années 1990, les gouvernements de droite ont amorcé un processus fou de constitution d’un grand secteur financier, à coup de « réformes » des institutions de l’après-guerre. La mode était alors à l’imitation des États-Unis. Cette vague a abouti à la formation d’institutions comme Dexia ou Natixis, dont les cours boursiers, après une brève envolée, se sont effondrés. Simultanément, les grandes entreprises se lançaient dans une stratégie de mondialisation financière. La composition des investissements directs à l’étranger de la France en témoigne. Y prédominent très largement les investissements financiers.

Après avoir singé la grande finance états-unienne, la France rêve désormais d’une voie industrielle à l’allemande. Tout laisse présager que le fiasco sera au moins équivalent : les grands actionnaires français ont déjà fait leur choix, et tant de chemin a déjà été parcouru que les chances d’un retournement sont faibles. Par ailleurs, notons que l’Allemagne aura bien du mal à maintenir le cap. Déjà se font valoir dans ce pays de nouvelles revendications populaires. Ainsi, sur la voie où la France est engagée, rien ne se fera sans un renversement des options financières néolibérales au sommet, dans les conseils d’administration des grandes sociétés et au gouvernement. Tant que ce grand virage ne sera pas amorcé, le pacte de responsabilité ne sera rien qu’un partenariat de complicité avec les actionnaires des grandes entreprises. 

[^2]: Avant 2003, malgré leur différence de taille, les industries française et allemande croissaient au même rythme.

[^3]: J’emprunte ici à notre nouveau livre, la Grande Bifurcation. En finir avec le néolibéralisme , Gérard Duménil et Dominique Lévy, La Découverte.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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