Imen Habib : « Avec la campagne BDS, nous interpellons les consciences »

La campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions prend de plus en plus d’ampleur. Sa coordinatrice en France, Imen Habib, analyse ici les différents aspects du mouvement.

Denis Sieffert  • 24 avril 2014 abonné·es

Lancée en 2005 par plusieurs associations de la société civile palestinienne, la campagne BDS contraint aujourd’hui de nombreux exportateurs israéliens à baisser leurs prix.

Sur quelle analyse se fonde la campagne BDS ?

Imen Habib : C’est le constat d’une impasse totale. La colonisation continue de galoper. Le gouvernement israélien vient encore d’annoncer qu’il autorise un nouveau programme de constructions dans les territoires palestiniens. Mais il n’y a pas que cela. La campagne BDS se fonde sur le fait que les droits fondamentaux du peuple palestinien sont bafoués.

Quand on dit « boycott », on pense évidemment à l’Afrique du Sud d’avant Mandela. Peut-on dire que les situations sont comparables ?

Il y a aujourd’hui une situation d’apartheid dont les Palestiniens sont victimes. Certes, il existe des différences, mais aussi des similitudes. Et, surtout, cette situation perdure depuis plus longtemps qu’en Afrique du Sud.

Le secrétaire d’État américain, John Kerry, a multiplié les contacts pour aboutir à un plan d’ici à la fin du mois d’avril. Nous y sommes et l’échec est évident. Pensez-vous que cet échec puisse avoir des conséquences sur la campagne BDS ?

Non, parce que ce processus de paix était un leurre dès l’origine. La preuve : pendant que Kerry parle, de nouvelles colonies sont annoncées par le gouvernement israélien.

On a l’impression que la campagne BDS est en train de prendre une nouvelle dimension.

Oui, elle progresse énormément. Elle remporte beaucoup de succès. Notamment aux États-Unis. En décembre, la décision de l’American Studies Association (ASA) d’appeler au boycott a été très importante [^2]. Il y a eu aussi un fonds de pension norvégien qui a annulé ses projets d’investissement en Israël : c’est le désinvestissement. Et puis il y a eu une avancée avec la directive européenne de juillet 2013 qui refuse le financement par l’Europe de tout organisme ou institution israélienne implantés dans les colonies. On assiste donc à des avancées aussi bien économiques que culturelles. Du côté des artistes, il y a eu l’appel de 80 dessinateurs au festival de la BD d’Angoulême. Et l’engagement de Roger Waters des Pink Floyd, celui du cinéaste Ken Loach et celui d’un artiste norvégien qui a expliqué sa prise de position en faveur du boycott en affirmant qu’il ne voulait pas que sa participation à un concert serve de caution à la politique israélienne.

Justement, le boycott culturel pose parfois des problèmes. Beaucoup à gauche, en France, pensent qu’on ne peut pas boycotter des manifestations comme des festivals de films israéliens, qui sont parfois très critiques à l’égard de la politique coloniale du gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

Ceux qui ont lancé l’appel pour le boycott culturel ont défini des critères précis. Ce boycott ne vise pas les individus mais les institutions. On ne boycotte pas un comédien ou un artiste, même s’il se rend en Israël. Auprès d’eux, on mène une campagne de sensibilisation. On essaie d’interpeller leur conscience. En France, il y a l’exemple du Forum des images qui était consacré, en 2010, à Tel-Aviv. La manifestation était sponsorisée par l’ambassade d’Israël et la mairie de Tel-Aviv. Le cinéaste Eyal Sivan a écrit une lettre très argumentée pour expliquer son refus d’y participer. L’aspect fondamental du boycott culturel vise à contrer une tentative d’Israël de redorer son image. En parrainant des manifestations culturelles, apparemment neutres, Israël tente de camoufler la réalité coloniale.

Il semble qu’Israël commence à prendre conscience du danger.

Oui, des patrons israéliens qui participaient au forum de Davos pressent Nétanyahou de faire la paix avec les Palestiniens. Ils craignent les conséquences économiques du boycott.

**Ce sont les milieux libéraux qui deviennent vos alliés… **

Cela nous encourage à mener campagne en direction d’entreprises qui commercent avec Israël.

Appelez-vous à boycotter les produits des colonies israéliennes en territoires palestiniens ou tout ce qui vient d’Israël ?

C’est maintenant toute une politique que l’on condamne. Ce sont les colonies, mais aussi la discrimination dont souffrent 1,6 million d’Arabes israéliens.

La question du boycott sportif se pose également…

Oui, la Fifa [Fédération internationale de football, NDLR] fait des gestes de normalisation pour intégrer de plus en plus Israël. Tout ce qui concourt à normaliser une situation qui n’est pas normale n’est pas acceptable. L’organisation de « l’Euro espoir » en Israël s’est inscrite dans cette tentative de normalisation.

En France, les militants de BDS subissent une répression. Où en sommes-nous à ce sujet ?

Cela repose sur une circulaire de l’ancienne ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie. C’est juridiquement étrange parce qu’il ne s’agit pas de viser les appels au boycott des États en général, comme la Chine, par exemple, mais uniquement en protection d’Israël. Malgré plusieurs interpellations publiques, d’autres moins publiques, l’actuelle garde des Sceaux, Christiane Taubira, refuse toujours d’abroger la circulaire. C’est un grand paradoxe et un scandale que des militants se retrouvent poursuivis parce qu’ils manifestent pour le respect du droit international. Si bien que leur sort dépend des tribunaux. Certains sont relaxés, comme à Bobigny ou à Pontoise, et d’autres lourdement condamnés, comme à Colmar. Et quand les verdicts ne plaisent pas parce qu’ils sont trop cléments, c’est le parquet, c’est-à-dire le gouvernement, qui fait appel, ou bien des organisations d’extrême droite juive.

[^2]: L’ASA est la plus ancienne et la plus importante association universitaire américaine. Elle regroupe plus de 5 000 professeurs et chercheurs américains.

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