Afrique du Sud : L’ANC en perte de vitesse

À une semaine des élections générales du 7 mai, le parti au pouvoir apparaît de plus en plus contesté sans être réellement menacé.

Jonathan Baudoin  • 1 mai 2014 abonné·es

C’est un étudiant de l’université de Johannesburg, Shadrack Ngombabu, qui résume le mieux la situation : « Beaucoup de jeunes Sud-Africains ne savent pas à qui faire confiance pour assurer leur avenir. » Les « born frees » (nés libres), comme on les appelle, ceux de la génération de l’après-apartheid, sont en plein doute. Pire, une véritable méfiance monte envers le Congrès national africain (ANC) : « Nous ne sommes pas sûrs que voter pour l’ANC soit la bonne décision », commente Shadrack Ngombabu.

Vingt ans après les premières élections multiraciales dans la nation « arc-en-ciel », le principal parti anti-apartheid déçoit. Les affaires polluent l’atmosphère, jusqu’au sommet de l’État. Le président Jacob Zuma, en fonction depuis 2009, est de nouveau sous le feu des critiques avec l’acquisition de sa propriété, dans sa province du KwaZulu-Natal, financée en partie par des deniers publics. Alors que les townships ne sont toujours pas rénovés – hormis Soweto, lieu symbolique et vitrine de la lutte anti-apartheid –, laissant des millions de Sud-Africains sans électricité ni eau courante. Par ailleurs, le pouvoir sud-africain demeure impuissant face au chômage, qui est passé de 20 % de la population active en 1994 à 25 % en 2012. Et ce malgré une croissance moyenne de 3,5 % durant cette période, selon les données de la Banque mondiale. Seule une minorité au sein de la population noire s’est élevée socialement, donnant naissance à une bourgeoisie noire. En outre, certains syndicats traditionnellement alliés à l’ANC sont en rupture. Tel le syndicat national de la métallurgie (Numsa), qui lui a retiré son soutien après la sanglante répression des grèves dans les mines, en août 2012. Néanmoins, pour Denis-Constant Martin, anthropologue, enseignant à Sciences Po Bordeaux et spécialiste de la région, « la légitimité historique de l’ANC lui assure la victoire ». Le parti reste crédité de 65,5 % des intentions de vote selon les derniers sondages. L’opposition, elle, se présente en ordre dispersé. L’Alliance démocratique (DA) d’Helen Zille, partiellement composée d’anciens membres du Parti national, est toujours perçue comme un parti blanc, malgré l’intégration de cadres noirs en son sein. Il faut compter aussi avec des dissidents de l’ANC : le Congrès du peuple (Cope), qui rassemble les partisans de l’ancien président Thabo Mbeki, l’ancienne aile droite de l’ANC ; et les Combattants du front économique (EFF), de Julius Malema, ancien président de la Ligue des jeunes de l’ANC. Pour Denis-Constant Martin, Malema est un « petit marquis, un homme d’affaires corrompu qui n’inspire pas confiance ». Il a été exclu du parti à la suite de provocations racistes envers la communauté afrikaner et le président Jacob Zuma, qu’il avait pourtant soutenu contre Thabo Mbeki en 2009. Il est difficile de voir une opposition unie face à l’ANC dans toutes les provinces sud-africaines, notamment entre la DA et l’EFF, partis aux idéaux incompatibles et avec des meneurs aux personnalités diamétralement opposées. Au niveau national, le dernier sondage indique que la DA reste la principale force d’opposition, avec 23,1 % d’intentions de vote, tandis que l’EFF, avec 4 %, deviendrait la troisième force politique du pays.

Quant à une éventuelle influence posthume de Nelson Mandela sur cette campagne électorale, elle relève du « fantasme euro-américain ». Et pour cause : « Madiba », comme on le surnommait, avait pris soin de ne plus intervenir et de ne plus commenter les décisions prises par l’ANC depuis sa retraite, en 1999, devenant un simple militant discipliné. « C’est une version sud-africaine du centralisme démocratique », conclut Denis-Constant Martin. Les clés du scrutin du 7 mai résident donc dans le score de l’ANC et dans le taux d’abstention. Si le premier est inférieur au niveau de 2009, doublé d’une abstention croissante, alors la perte de confiance entre le peuple sud-africain et le pouvoir en place deviendra inquiétante pour la suite.

Monde
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