« La gauche peut mourir », avertit Manuel Valls, un de ses bourreaux

Après la claque des européennes, le Premier ministre, qui s’exprimait devant le conseil national du PS, a joué la dramatisation pour tenter de resserrer les rangs sans concéder le moindre changement d’orientation. Au contraire.

Michel Soudais  • 14 juin 2014 abonné·es
« La gauche peut mourir », avertit Manuel Valls, un de ses bourreaux

Dramatiser. A la mi-temps du conseil national du PS, dont la première partie était consacrée samedi matin au « bilan de l’action socialiste » , le Premier ministre a cherché à faire taire les critiques. Revenant sur la claque des élections européennes, le plus mauvais résultat jamais enregistré par la gauche (entendue dans son acception la plus large), Manuel Valls n’a pas exclu que la France puisse «  se défaire et se donner à Marine Le Pen » . « Le risque de voir Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle existe » , a-t-il déclaré, jugeant que « la gauche peut mourir » . Une dramatisation destinée à réveiller l’imaginaire du 21 avril 2002, un traumatisme encore vif au PS. Car s’agissant des raisons de cette débâcle électorale, Manuel Valls décline toute responsabilité, préférant mettre en cause un défaut de mobilisation militante. « Beaucoup de militants, mais aussi et surtout beaucoup d’élus ne se sont pas mobilisés pour la campagne européenne » , s’est il plaint.

Tenir durablement. Si « l a gauche peut mourir » , c’est au PS de « la relever » , a-t-il expliqué, mais surtout en ne changeant pas de politique. «  J’ai du mal à imaginer que les veilles recettes du passé soit les sources de notre renouveau » , a lancé le Premier ministre dans un appel à tout réinventer. « Nous sommes à un moment de vérité pour notre Parti, la gauche et notre pays , a-t-il poursuivi. Nous sentons bien que nous sommes arrivés au bout d’une théorie,de pratiques au Parti Socialiste. » Mais si Manuel Valls « imagine le PS comme une force moderne, attractive et conquérante » , c’est bien dans une rupture avec son passé : « Sortons du confort des idées connues, des mots qui ne fâchent pas, et des dogmes ! » lance-t-il. « L’essence de la gauche ce n’est pas d’être uniquement le contraire de la droite , risque-t-il mais l’éclaireur, le moteur du progrès. »

Chercher des alliés ailleurs ? Si pour lui « le PS a vocation à être au centre du jeu » , le Premier ministre ne l’imagine pas pour autant se passer d’ « alliances » . « Nous devons créer une union. Mais avec ceux qui veulent réellement gouverner avec des idées sérieuses », assure-t-il. Cela inaugure-t-il une recherche d’entente avec le centre droit ? Il n’en souffle mot. Trop risqué dans cette enceinte. Toutefois il maintient le cap politique fixé par François Hollande : il affirme croire au rôle de l’Etat mais pour avoir « un Etat efficace » , il faut « redéfinir son périmètre » . Cela pourrait ouvrir la voie à des désengagements au profit des collectivités locales si celles-ci n’étant pas aussi exsangues. C’est donc plutôt des privatisations qui sont à craindre. Enfin, surtout : « La politique de l’offre, ce n’est pas un choix idéologique, c’est un choix stratégique. » Et cette « certitude » assenée : « Prendre un autre chemin nous conduirait à l’échec. » Il n’y a pas d’alternative. Circulez ! D’ailleurs, a averti Manuel Valls, « la radicalité est une impasse » .
D’où ce commentaire cinglant de l’ancien directeur de cabinet d’Harlem Désir :

Cap maintenu. Car ceux qui, avant l’intervention de Manuel Valls, la seule diffusée à l’extérieur du huis-clos par le compte twitter officiel du PS, avaient fait part de leurs doutes, voire de leurs critiques, et demandé un changement d ‘orientation n’auront pas gain de cause. Certes, le diagnostic est partagé. « La gauche n’a jamais été aussi faible dans l’histoire de la Ve République » , dit Valls. « C’est notre pire score depuis le Congrès d’Epinay , avait déclaré quelques minutes plus tôt Emmanuel Maurel, y voyant le témoignage « d’une défiance en matière économique et sociale » . Mais quand le leader de l’aile gauche du PS estime que la géographie du vote FN devrait conduire le PS à s’interroger, il ne peut que déplorer que les dirigeants du PS, confronté à ce « vote sanction » aient « répondu ‘dorénavant c’est comme avant’ » . Évoquant la réforme territoriale, défendue par le Premier secrétaire, ou le projet de suspension des seuils sociaux, que le PS ne soutient pas, il a dénoncé une « accélération [qui] donne l’impression d’une improvisation, d’une fuite en avant  ». Avant de conclure : « On nous demande d’être solidaire avec l’exécutif mais il faudrait que l’exécutif soit solidaire avec sa majorité et sa base sociale. » **

Autisme. Jamais en effet la gauche au pouvoir n’a autant ignoré son camp. Ce qu’a dit à sa façon Laurent Baumel en demandant un rééquilibrage des pouvoirs de décision et plus de concertation : « J ‘enrage de voir la gauche se couler dans le cadre monarchique qui nous est proposé. » Le député de l’Indre-et-Loire, qui est l’un des meneurs de « l’Appel des cent » a défendu l’action de ce groupe de frondeurs, que Jean-Christophe Cambadélis venait de critiquer dans un entretien à Libération   : « Je revendique le droit pour les parlementaires et les militants socialistes d’avoir leur mot à dire sur notre politique. » Que les socialistes en soient rendus là donne la mesure du fossé qui s’est créé entre le pouvoir et ceux qui l’y ont mis.

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