Le service public cache sa science

France 5 lance un nouvel opus de documentaires scientifiques. En plein été, à un horaire déserté. Une manière d’enterrer les films les plus exigeants.

Jean-Claude Renard  • 26 juin 2014 abonné·es

Les perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques implantés dans des milliers d’objets de la vie courante ; le bisphénol A, présent dans les biberons, serait le plus célèbre. Des perturbateurs qui piratent le système hormonal, constituant une bombe à retardement pour la santé (diabète, cancers divers, obésité, infertilité, malformation génitale, etc.). L’Europe avait commencé à s’y intéresser dans les années 1990, avant de promettre en 2013 une chasse aux produits chimiques, avec certaines interdictions concernant les plastiques, les détergents et les produits alimentaires. Non sans inquiéter l’industrie chimique, forcément. Ce sont tous ces enjeux que rapporte Endoc(t)rinement, de Stéphane Horel, livrant plusieurs témoignages de scientifiques, de chercheurs, de responsables d’ONG, ajoutant des images d’animation à ses propos pédagogiques.

À la fois scientifique et politique, le documentaire révèle une vaste bataille d’influences au cœur des institutions, le poids des lobbies de la chimie et des pesticides. Des lobbies aux stratégies efficaces, empruntées à l’industrie du tabac, qui repoussent toujours les promesses de Bruxelles. Disons-le net : il y a peu de chance que le téléspectateur ordinaire puisse voir ce film passionnant qui plonge dans les coulisses de la démocratie. Il est programmé le samedi 9 août à 19 heures sur France 5. Au moment où les téléspectateurs ont lâché le petit écran pour la plage, où tout le monde a oublié son poste. Ce documentaire fait partie de la collection scientifique « L’Empire des sciences », inaugurée en 2011 et programmée cette année chaque samedi du 28 juin au 30 août. Endoc(t)rinement n’est donc pas le seul film à souffrir d’une programmation fort peu judicieuse. Avant lui, Allergies planétaires, à qui la faute ?, de Véronique Berthonneau et Pierrick Hordé, explorant les mécanismes des allergies, Il nous faudrait une bonne guerre, de Laurence Serfaty, sur les enjeux environnementaux, et la Tentation du schiste, d’Hervé Nisic et Pierre Stoeber, sont aussi des films conjuguant science et politique. Trop politiques ? Trop exigeants ? Au mépris des auteurs réalisateurs (et des téléspectateurs), ce n’est pas la première fois que le service public opte pour une grille de programmes incongrue, sinon à vouloir enterrer ses propres œuvres. France 2 et France 3 additionnent les diffusions tardives, au profit de séries ou de divertissements. France 5 emboîte donc le pas. Ce qui n’empêche pas son directeur de l’antenne et des programmes, Pierre Block de Friberg, dans un communiqué de presse, de se targuer d’une « programmation ambitieuse, composée à 50 % de créations documentaires », de prétendre que « tous les documentaires ont leur place sur France 5 » et de justifier ses choix : « L’été est pour nous l’occasion d’accroître cette présence à l’antenne en privilégiant une offre inédite – unitaires, séries et collections emblématiques – pour offrir à notre public des moments inoubliables.  […] Nous sommes fiers de faire tomber des idées reçues et de revendiquer, avec la collaboration de chercheurs, de scientifiques, d’auteurs, de réalisateurs et de producteurs, la science à portée de tous. » Des moments inoubliables, à la portée de tous ? Vraiment ? Le 19 juillet, le 2 ou le 9 août ? Allons donc !

On est là vraiment loin des créneaux porteurs en termes d’audience et de retombées presse, lesquelles font très largement vivre les films, au-delà d’une simple diffusion, les entraînant parfois jusqu’aux festivals. Si seulement ces documentaires pouvaient bénéficier d’un visionnage à la demande prolongé (bien plus que les sept jours habituels) ou d’une garantie de rediffusion à une période plus fédératrice. Mais ce n’est pas le cas. En 2011, quand était précisément inaugurée cette collection de docs, un sondage révélait pourtant que 49 % des téléspectateurs (et 57 % chez les 18-34 ans) plébiscitaient le documentaire sur le petit écran. Le service public ( « à la portée de tous » ) ferait bien d’assumer ses missions. A fortiori quand il s’agit de films aux dimensions démocratiques.

Médias
Temps de lecture : 3 minutes