Une Coupe du monde de la discrimination

En revendant une partie de ses droits à BeIN Sports, TF1 prive plusieurs nations du Mondial. Une première.

Jean-Claude Renard  • 12 juin 2014 abonné·es
Une Coupe du monde de la discrimination
© Photo : Sarah Glenn/Getty Images/AFP

En 2005, TF1 avait acquis les droits de retransmission de cette Coupe du monde de foot au Brésil pour 130 millions d’euros. Malgré des tarifs publicitaires records (de 185 000 euros la pub de 30 secondes lors du premier tour de l’équipe de France à 357 600 euros si les Bleus parviennent en finale, et moitié moins pour les autres matchs), pour éviter de trop grandes pertes, la chaîne a rétrocédé à BeIN Sports une partie de ses droits. Coût de l’opération pour la filiale d’Al Jazeera : autour de 50 millions d’euros. Sur les 64 matchs de la compétition, TF1 en diffusera seulement 28, contre l’intégralité de la Coupe pour BeIN Sports. Mais TF1 se garde les plus belles affiches. Tous les matchs de l’équipe de France, naturellement, les demi-finales, la finale et la petite finale pour la troisième place. Pour les huitièmes (5 matchs sur 8) et les quarts (3 matchs sur 4), c’est à son gré, et suivant les plus beaux duels annoncés. En 2010, pour la précédente édition, en Afrique du Sud, qui avait vu les Bleus faire grève dans un bus, TF1 avait vendu certains matchs à France Télévisions. Elle a choisi cette année la chaîne qatarie, bien plus lucrative. Soit. Ce sont de petits arrangements entre chaînes néanmoins concurrentes, qui se tirent la bourre sur les droits de retransmission.

Pourtant, à regarder de près, cette rétrocession est un scandale. Certes, on y verra bien en clair les grandes nations du ballon rond : l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne, le Brésil et l’Argentine. Mais il faudra se contenter d’un seul match pour espérer voir jouer l’Algérie (contre la Belgique), le Chili (contre l’Espagne) ou encore la Croatie, le Mexique et le Cameroun, toutes trois pouvant remercier le Brésil pour avoir la chance d’être présentes sur le petit écran.

Le téléspectateur n’aura ainsi pas droit au match palpitant qui s’annonce entre le Mexique et le Cameroun, ni à celui opposant deux autres styles, l’Algérie et la Russie. Sur 32 équipes nationales disputant ce Mondial, 11 sont totalement absentes des grilles de TF1 (pour le premier tour, soit tout de même 48 matchs). Plus d’un tiers ! L’Iran, le Costa Rica, la Colombie, la Bosnie-Herzégovine, la Russie, les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud, la Grèce, le Nigeria, et même la Côte d’Ivoire, emmenée par ses stars Yaya Touré et Didier Drogba. Dans l’histoire de la télévision et du football, c’est une première. Honteuse. Pour tous les aficionados au sein de ces communautés, qui aiment à se retrouver devant ce type d’événements, il faudra s’acquitter d’un abonnement mensuel à 11 euros. Ou espérer que leur équipe se hisse en demi-finale pour être sûrs de la voir à l’écran. En France, pour ce qui est des retransmissions sportives, un décret instauré en 2004 impose la diffusion en clair d’ « événements d’importance majeure ». Il protège une poignée de disciplines, comme le foot, le rugby ou le cyclisme, mais sur certaines compétitions seulement et à des degrés divers (c’est-à-dire la diffusion des Bleus, les demi-finales et la finale). Pour ce Mondial, TF1 assure ainsi le strict minimum exigé par ce décret au rabais.

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