La crise qui vient

Un « tsunami de dettes » se prépare aux États-Unis.

Jean Gadrey  • 10 juillet 2014 abonné·es

Tout porte à croire qu’une nouvelle crise globale se prépare aux États-Unis, indépendamment même d’autres facteurs possibles de déflagration financière dans le monde. En surface, tout va bien, ou presque. Le taux de chômage officiel est redescendu à 6,1 % en mai dernier, et pendant les quatre dernières années, la croissance est restée comprise entre 2 % et 2,8 %. De quoi faire rêver François Hollande. On a bien eu cette mauvaise nouvelle d’une chute brutale de 2,9 % du PIB au premier trimestre 2014, mais la Maison Blanche a promis un beau rebond dès le deuxième trimestre. Il n’est pas exclu que cela se produise. Là n’est pas le problème. Car derrière ces chiffres on en trouve d’autres, non conjoncturels. L’obsession de la conjoncture rend aveugle. Après tout, la crise qui a (vraiment) démarré en 2008 avait elle aussi été précédée par une belle croissance et un faible taux de chômage officiel.

Le premier mauvais indice concerne la dégradation du marché du travail et les salaires. Le taux de participation de la population adulte à l’emploi (rapport entre l’emploi et la population de plus de 16 ans) a plongé de 5 points entre son sommet de 2007 et 2010. Depuis, il végète plus ou moins. Le salaire horaire réel des 95 % des salariés du bas de l’échelle, qui avait stagné au cours de la décennie 2000, plonge lui aussi depuis 2010, d’environ 4 % en quatre ans, malgré une productivité horaire du travail qui a progressé de 5 % sur cette période. Les inégalités, déjà énormes, se creusent à nouveau, entre baisse du pouvoir d’achat des salariés et revenus boursiers extravagants pour les plus riches. Car l’exubérance irrationnelle des marchés, une formule d’Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale, fonctionne à plein régime. En cinq ans, le Dow Jones, principal indice boursier de New York, a plus que doublé. À 17 000 points, il dépasse de très loin son précédent sommet historique (14 000 points en 2007). Or, les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Personne ne sait quand la « correction » se produira, mais elle sera brutale. Qui plus est, l’économie du pays a été maintenue sous « perfusion monétaire » massive par la Fed depuis plusieurs années. Cette perfusion est en train de prendre fin.

Enfin, en relation avec ce qui précède, les ménages (essentiellement les « classes moyennes ») ont recommencé à s’endetter depuis 2013, après avoir réduit leur taux d’endettement à la suite de 2008. La même logique se reproduit : selon les chercheurs du Levy Institute de New York ( The Guardian, 15 juin 2014), un « tsunami de dettes » (dettes privées des ménages et des entreprises plus encore que dette publique) se prépare, boosté par les inégalités et la baisse des salaires réels. Cela conforte certes la demande et la croissance à court terme, mais c’est recréer ce que ce même institut considère comme une relation à hauts risques entre la dette croissante de 90 % de la population et les gains démesurés des 10 % qui s’enrichissent. Cela ne nous rappelle rien ?

L’histoire ne se répète pas, mais celle du capitalisme financier semble devenue celle d’une succession de crises semblables, de plus en plus graves, et sans parenthèse entre elles. Elles se reproduiront tant que la finance ne sera pas arraisonnée.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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