« Le jazz n’est plus représenté à Radio France »

Indignation, levée de boucliers et pétition des musiciens après la suppression de plusieurs programmes sur France Musique et notamment la fin annoncée du « Bureau du jazz ».

Jean-Claude Renard  • 15 juillet 2014
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« Le jazz n’est plus représenté à Radio France »
© Photo: Un vinyle LP de Louis Armstrong et Ella Fitzgerald dans la discothèque de Radio France (AFP PHOTO MIGUEL MEDINA).

Du côté de Radio France, ça bouge aussi sur France Musique. Marie-Pierre de Surville, la nouvelle directrice de France Musique, a décidé de bouleverser sa grille des programmes à la rentrée. A commencer par la matinale, qui passe de Jean-Michel Dhuez aux mains de Vincent Josse. Transfuge d’Inter, Frédéric Lodéon fait son arrivée pour une case de musique classique quotidienne. Ils sont surtout nombreux à prendre la porte : François Hudry (« Chefs-d’œuvre et découvertes »), Marcel Quillévéré (« Les traverses du temps »), David Jisse (« Electromania »), Gérard Pesson (« Boudoir & autres »), ou encore Marc Dumont (« Horizons chimériques »), tandis qu’Arnaud Merlin perd l’heure et demie hebdomadaire d’analyse (« Le matin des musiciens ») pour une émission toujours hebdomadaire mais seulement d’une heure.

C’est aussi le licenciement de Xavier Prévost qui agite et inquiète le milieu du jazz. Un licenciement qui signifie la fin du Bureau du jazz, créé en 1961 et des concerts « Jazz sur le Vif », au studio 105. Un espace qui s’était pourtant imposé comme un véritable pôle de rencontres pour les musiciens, les professionnels et le public. De la petite formation au big band, il accueillait chaque année une trentaine d’orchestres, reflétant ainsi la vitalité et la diversité de la scène française.

Dans une certaine mesure, Marie-Pierre de Surville suit les recommandations du nouveau patron de Radio France, Mathieu Gallet, qui avait déclaré qu’ « il n’est pas acceptable qu’à Paris, par exemple, l’audience de France Musique soit de 1,2 point, contre 3,5 pour Radio Classique. Pour cela, il va falloir réfléchir à adapter la programmation, en laissant plus de place à la musique et moins à la musicologie » .

Les musiciens, et les jazzmen en particulier , ne l’entendent pas de cette oreille. A l’initiative du pianiste Guillaume de Chassy, une pétition a été mise en place pour le maintien du Bureau du jazz au sein de Radio France, soulignant qu’en « ces temps de frilosité et d’appauvrissement de la pensée, le monde du jazz, qui fédère tant d’acteurs de conviction et de passion, ne se laissera pas dessaisir sans réagir des outils, des espaces d’intelligence et des talents qui contribuent le mieux à sa visibilité, à sa renommée et à son succès » . Une pétition adressée à Mathieu Gallet, Frédéric Schlesinger (directeur délégué aux antennes et aux programmes), Marie-Pierre de Surville et à la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, qui rassemble des signatures prestigieuses, comme Benoît Delbecq, Marc Ducray, Daniel Humair, Henri Texier, Frédéric Maurin, Émile Parisien, Vincent Peirani, Dominique Pifarély, ou encore Didier Levallet.

Nous avons demandé à ce dernier, ancien directeur de l’Orchestre national de jazz, de nous exposer les raisons de cette pétition.

Illustration - « Le jazz n’est plus représenté à Radio France » - Le contrebassiste Didier Levallet, à sa nomination à la tête de l'Orchestre National de Jazz en 1997 (PIERRE VERDY / AFP)

«On veut faire de la radio privée!»

Quelle lecture faites-vous du bouleversement des programmes sur France Musique qui pénalise le jazz ?

Didier Levallet : On observe un abandon des services de l’Etat, des missions du service public qui n’entend plus diffuser des arts de façon diversifiée et protéger des secteurs faibles économiquement mais à forte valeur ajoutée du point de vue artistique. Cela touche précisément le jazz, cela pourrait aussi toucher la musique contemporaine. Cela fait suite à la suppression du Centre d’information du jazz, celui des musiques traditionnels et celui du rock par le ministère de la Culture au sein de l’Irma[^2], qui avait pourtant amassé en une vingtaine d’années une somme importante de documents. Dans le cadre d’économies à faire, on a sanctionné ces centres. A France Musique, ce sont tous des contractuels. On peut donc les balancer comme on veut. C’est ce qui arrive à Xavier Prévost, mais aussi à Arnaud Merlin qui animait une émission consacrée à l’analyse musicale, au motif qu’on ne veut plus de « blabla » mais de la musique, et qui passe de quotidienne en hebdomadaire. On veut faire du Radio Classique, faire de la radio privée ! On n’est plus dans la mission d’éducation, dans une mission de réflexion et d’intelligence. Pour ce qui est du Bureau du jazz, cela s’inscrit dans un mouvement général contre le jazz en particulier. C’est d’autant plus hallucinant que la France est historiquement la seconde patrie du jazz.

Quelles sont les conséquences de la suppression du Bureau du jazz ?

Cela signifie d’abord que le jazz n’est plus officiellement représenté dans la hiérarchie de Radio France. On prétend qu’il sera malgré tout présent dans un nouveau bureau polyvalent, où se mêleraient toutes les musiques actuelles. Pour nous, c’est mortel ! Car c’est nous mêler au rock, à la chanson, à la pop, qui ne sont pas dans le même secteur économique que le jazz, mais dans une rentabilité économique, certes incertaine mais possible, au contraire des musiciens de jazz qui ne sont jamais dans un circuit marchand. La fin du Bureau du jazz, c’est aussi celle des concerts donnés au studio 105, qui étaient même diffusés à l’étranger, et permettaient nombre d’échanges.

Dans la pétition lancée par Guillaume de Chassy, vous demandez que soit reçue conjointement une délégation par Jean-Pierre Rousseau, directeur de la musique à Radio France et par le ministère de la Culture. Qu’en attendez-vous ?

Ni plus ni moins que le maintien du Bureau du jazz à Radio France. Parce que si le jazz est absent de Radio France, on peut se demander dans quelle radio il pourrait être représenté. Aucune ! La pétition circule très bien, et Aurélie Filippetti aurait déjà dit à Jean-Pierre Rousseau que le jazz doit être soutenu à Radio France. Rousseau prétend que c’est fait. Or, en supprimant Xavier Prévost et ses émissions, sans même le remplacer poste pour poste, c’est bien le jazz qu’on supprime. Il n’y a d’ailleurs plus aucun programme, ni planning de concerts. On sera peut-être reçu par le ministère de la Culture, qui est sans doute favorable à notre démarche, mais le ministère, ce n’est pas France Musique.

[^2]: Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles.

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