Netflix inquiète l’audiovisuel

Le champion de la vidéo sur Internet débarque en France le 15 septembre et fait craindre une baisse des financements de la télévision et du cinéma.

Jérémie Sieffert  • 11 septembre 2014 abonné·es
Netflix inquiète l’audiovisuel
© Photo : Jemal Countess / Getty Images / AFP

On connaissait Google et Amazon, et leur bras de fer avec les mondes de la presse et de l’édition. Voici désormais Netflix. Le champion du monde de la vidéo en ligne débarque en France en grande pompe le 15 septembre, et agite les univers très réglementés de la télévision et du cinéma français. Lancée en 1998, la petite start-up californienne d’alors s’est fait connaître aux États-Unis grâce à un système ingénieux de location de DVD par courrier. Pas de boutique, pas de paiement à la location et pas de délai de conservation de la vidéo, mais un forfait mensuel d’une dizaine de dollars pour autant de DVD que l’on souhaite. Mais le coup de génie fut d’avoir senti le virage de la vidéo à la demande (VOD).

En 2010, Netflix applique son modèle économique novateur à la vidéo en streaming, directement sur Internet. Toujours pour le même prix, un catalogue de près de 80 000 films et séries est disponible instantanément sur tous les supports. Pour un abonnement, jusqu’à cinq profils personnels pour reprendre un visionnage en cours ou recevoir des suggestions fondées sur les goûts et les habitudes de chaque membre de la famille. Quatre ans plus tard, le service revendique 50 millions d’abonnés dans une cinquantaine de pays, dont 35 millions rien qu’aux États-Unis, et un chiffre d’affaires de 1,34 milliard, en hausse de 25 % par rapport à l’année précédente. Fort de cette réussite, Netflix ne se limite plus à la VOD. L’entreprise a acquis les droits d’exclusivité sur plusieurs séries, à la barbe des chaînes de télé américaines, et s’est même convertie à la production avec House of Cards, une série haut de gamme qui en est à sa troisième saison. En France, ce mastodonte risque d’entrer en choc frontal avec le groupe Canal, qui a déjà réagi en lançant son propre service de vidéo en streaming. Et, par ricochet, avec les producteurs de cinéma, dont les financements dépendent largement de la bonne santé des chaînes comme Canal +, qui a par exemple versé 170 millions d’euros au pot commun du CNC en 2013. Qu’adviendrait-il de ce système si Netflix prenait des parts de marché significatives à la télévision ? Selon une étude [^2], le cinéma français pourrait perdre jusqu’à 22 % de ses financements d’ici à 2017, 24 % pour la fiction télévisuelle. Une inquiétude d’autant plus fondée que, reprenant le modèle d’implantation européenne des autres géants américains, Netflix Europe sera installé aux Pays-Bas et n’aura donc aucune obligation de respecter la réglementation culturelle française, et notamment le versement au CNC ou le quota de productions françaises dans son catalogue.

La firme a toutefois tenté ces dernières semaines de désamorcer les critiques. Elle a ainsi promis de s’acquitter de la TVA française et de respecter la chronologie des médias. Elle a aussi annoncé la production d’une série franco-française intitulée Marseille, une intrigue politico-financière dans la cité phocéenne. Mais ces concessions sont surtout un signe de prudence de Netflix face au marché français. En plus d’éventuelles difficultés avec le ministère de la Culture et les professionnels de l’audiovisuel, Netflix fait également face à un accueil glacial de la part des opérateurs Internet, qui, faute d’accord financier [^3], ont refusé d’implanter le nouveau service dans leurs offres box. Or, le marché français est très fortement structuré par le triple play, et des services de VOD sont déjà intégrés aux abonnements Internet. Les ménages français sont donc peu équipés en télés connectées et ils devront se rabattre sur l’ordinateur pour accéder à Netflix. Un coup dur pour l’Américain, qui compte pourtant toucher bientôt un tiers des foyers français. Si Netflix ne déstabilise pas le marché à lui seul, il pourrait servir de prétexte aux adversaires de la régulation. Des chaînes privées comme TF1 ou M6 se sont déjà interrogées sur l’opportunité des obligations de programmation et de production dans un contexte de concurrence avec des acteurs qui n’y sont pas soumis. Pas sûr que le gouvernement de Manuel Valls sache résister. Le nouveau feuilleton ne fait que commencer.

[^2]: Voir « Netflix : chocs en vue pour la télé et le cinéma français », Les Echos.fr, 2 septembre 2014.

[^3]: Aux États-Unis, Netflix représente 30 % du trafic Internet, ce qui coûte cher aux opérateurs.

Culture
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