Déclarations d’humour

Une joyeuse mascarade sur le pouvoir du langage, par Victor Quezada-Perez et sa compagnie Umbral.

Anaïs Heluin  • 9 octobre 2014 abonné·es

Quatre cadres dorés à la moulure vieillotte. De ceux qui décorent les murs des maisons hantées dans les films d’horreur. Mais dans ce Cabaret des mots de Matéi Visniec, pas besoin d’attendre que les gravures daignent sortir de l’immobilité et cligner de l’œil pour révéler leur caractère maléfique : les tableaux sont habités par six figures en mouvement perpétuel, qui profitent de la moindre occasion pour s’échapper de leur petit carcan. Imaginées par le maître-clown Victor Quezada-Perez et sa compagnie Umbral, ces présences gesticulantes et bariolées n’ont d’ailleurs rien des poussiéreux vieillards au regard mauvais qui déambulent dans les séries B. Avec leur nez rouge et leur face toute blanche, elles sont des antiquités clownesques révoltées contre ceux qui les ont oubliées.

C’est qu’elles ne sont pas n’importe qui, ces présences. Ou plutôt « n’importe quoi ». Elles sont des mots de toute sorte, de « prologue » à « fin » en passant par « moi », « retour », « amour » ou encore « pute ». Dire que les six comédiens personnifient ces vocables ne serait pas tout à fait exact : ils leur donnent chair sans jamais les enfermer dans les limites d’un personnage, ni même d’une caricature. Certes, le mot « amour » a l’air extatique d’une jeune fleur bleue, et le mot « grammaire » l’expression sévère d’un maître d’école à cheval sur les règles. Mais ils ont aussi des mimiques qui n’appartiennent qu’à l’art du clown et qui, comme le langage, puisent à une part essentielle de l’homme. Son enfance, sa capacité à s’émerveiller de tout.

Le texte de l’auteur roumain ne laisse pas le temps à ses mots de s’installer sur la page. Il les fait défiler assez vite pour qu’aucun ne prenne le pas sur les autres et qu’un maximum ait droit à sa minute de gloire. Cette brièveté s’accorde très bien à l’art du clown, que Victor Quezada-Perez a déjà confronté à l’écriture finement critique de Visniec dans trois créations. Un clown dictateur traverse toutefois le spectacle. Lanceur de mots éparpillés, absurdes, ce tyran au nez rouge qui évoque Ceaucescu autant que certains hommes politiques de France ou d’ailleurs incarne la dimension politique de ce Cabaret des mots. Écrite à l’occasion d’une résidence de l’auteur au sein de la compagnie Umbral, cette pièce dit en riant l’instrumentalisation du langage et son avenir douteux dans un monde où l’on communique de moins en moins.

Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes