Sondage : Oui, les étrangers doivent voter !

Malgré les atermoiements du gouvernement, le droit de vote des résidents étrangers obtient encore une majorité relative dans l’opinion, selon une enquête que nous publions avec la Lettre de la citoyenneté.

Michel Soudais  • 20 novembre 2014 abonné·es
Sondage : Oui, les étrangers doivent voter !
© Echantillon de 1 008 personnes représentatif des Français âgés de 18 ans et plus. Méthode des quotas et du redressement appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socio-professionnelle et région de l’interviewé(e). Photo : SAGET/AFP

Illustration - Sondage : Oui, les étrangers doivent voter !

L’extension du droit de vote aux élections locales aux résidents étrangers est favorablement envisagée par une majorité de Français. L’enquête d’opinion réalisée par Harris Interactive pour la Lettre de la citoyenneté  [^2] montre certes que l’écart entre « pro » et « anti » tend à se réduire par rapport aux sondages précédents effectués par le même institut, mais les partisans d’une extension du droit de vote conservent une majorité relative. 47 % des personnes interrogées y sont en effet favorables, contre 44 % d’un avis contraire. Si les hommes y sont opposés à 49 % contre 43 %, la proportion est inversée chez les femmes, où l’écart entre les deux attitudes est aussi plus ample en faveur du droit de vote : 51 % contre 39 %. Les partisans devancent les opposants dans toutes les classes d’âge, excepté chez les plus de 65 ans, hostiles à 58 %, dont 33 % qui se disent « très opposés ». À l’inverse, les jeunes sont les plus réceptifs à cette extension : ils sont 61 % à y être favorables chez les 18-24 ans et les 25-34 ans, ces derniers n’étant que 27 % à s’y opposer. L’opinion des personnes interrogées varie également en fonction de leur lieu de résidence, le pourcentage de « favorables » augmentant avec la taille de l’agglomération. Les « opposés » l’emportent dans les communes rurales (54 %) et les unités urbaines de moins de 20 000 habitants (50 %), alors que les « favorables » dominent dans les aires de plus de 20 000 habitants (49 %) et sont 67 % dans l’agglomération parisienne.

Cette étude réalisée par Harris Interactive est publiée en partenariat avec la Lettre de la citoyenneté. Une publication bimestrielle qui existe depuis 1993 et est centrée sur le droit de vote des étrangers et l’accès à la nationalité. Le premier sondage a été réalisé en 1994. Depuis, presque chaque année, la même question porte sur l’égalité des droits politiques entre les étrangers communautaires et non communautaires. La structure éditrice est l’Association de soutien à l’expression des communautés d’Amiens (Aseca), issue de l’expérience des quatre conseillers étrangers élus par les résidents étrangers d’Amiens en décembre 1987 et associés au conseil municipal de la ville jusqu’en mars 1989, quand l’arrivée d’une majorité de droite a interrompu l’expérience. Le sondage évoqué ici a été publié avec le concours des Amis de Tribune socialiste (40, rue de Malte, 75011 Paris) www.lettredelacitoyennete.org.
Autre donnée intéressante de ce sondage : le droit de vote des étrangers aux élections locales est davantage accepté par les catégories socioprofessionnelles inférieures (CSP-), chez qui il recueille 51 % d’opinions favorables contre 39 %, que parmi les CSP+ (47 % contre 43 %). Les opinions défavorables n’arrivent en tête que chez les inactifs (47 %), les indépendants (49 %) et les retraités (58 %). En revanche 49 % des employés, 50 % des professions intermédiaires et 53 % des cadres et professions libérales se disent favorables à cette extension du droit de vote. Ainsi que 54 % des ouvriers. Ce taux d’approbation record dans la population ouvrière infirme l’idée (fausse) selon laquelle le Front national, dont les sympathisants sont les plus hostiles (84 %) au droit de vote des étrangers, serait le premier parti chez les ouvriers. Sans surprise également, les sympathisants de droite y sont à 59 % opposés. Un rejet qui grimpe à 64 % parmi ceux de l’UMP, mais qui n’est pas partagé par les sympathisants du MoDem : à 53 % ils s’y disent favorables. L’approbation est plus nette chez les sympathisants de gauche et d’extrême gauche (72 %), que ce soit ceux d’EELV ou du PS (73 % pour les deux) ou du Front de gauche (70 %).

Illustration - Sondage : Oui, les étrangers doivent voter !

Ce plébiscite dans l’électorat de gauche et les résultats plutôt encourageants de ce sondage, obtenus malgré un contexte économique et social difficile où les immigrés servent de nouveau de boucs émissaires, rendent incompréhensible le renoncement du gouvernement à mettre en œuvre l’engagement numéro 50 de François Hollande : « J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans. » Une promesse ancienne (c’était la 80e des 110 propositions du candidat François Mitterrand en 1981), constamment reportée depuis trente ans. Dès l’automne 2012, Manuel Valls avait fait savoir que ce droit n’était pas « une revendication forte des Français » ni « un élément puissant d’intégration ». En réponse au ministre de l’Intérieur, qui avait été (un peu) recadré par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, une cinquantaine de parlementaires socialistes avaient publié une tribune réaffirmant leur volonté d’inscrire le droit de vote dans la loi avant les municipales de 2014. Mais, lors de sa conférence de presse de mai 2013, François Hollande avait repoussé la présentation d’un tel texte après cette élection. « Je ne renonce pas à ce que des majorités se constituent », a-t-il encore déclaré le 14 juillet.

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Cet attentisme politique, loin de favoriser une acceptation du droit de vote des résidents étrangers par la société française, tend plutôt à éroder le nombre de ceux qui y sont favorables, comme le montre la courbe qui retrace l’évolution de l’opinion. On y voit qu’elle est devenue favorable au droit de vote des étrangers non communautaires en 1999, quand, après plusieurs années d’obstruction du Sénat, les ressortissants de l’UE ont acquis le droit de vote aux municipales. L’indécision du pouvoir, c’est son autre défaut, est également communicative. En témoigne le pourcentage élevé de personnes qui ne répondent pas à la question posée : 9 %. Un niveau jamais atteint dans les précédents sondages, que le gouvernement serait bien inspiré de prendre pour une alerte.

[^2]: Enquête réalisée par téléphone du 4 au 7 novembre 2014.

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