Égypte : La révolution étouffée

L’ex-Président Hosni Moubarak a été blanchi pour les meurtres commis par sa police en 2011. Un acte politique qui confirme le retour en arrière.

Lou-Eve Popper  • 4 décembre 2014 abonné·es
Égypte : La révolution étouffée
© Photo : AFP PHOTO/HO/Egypt military spokesman via Facebook

Trois ans après le Printemps arabe, la tristesse s’est emparée des quelques opposants encore déclarés au régime du maréchal al-Sissi. En raison d’obscurs points de procédure, le tribunal a abandonné, le 29 novembre, l’accusation de complicité de meurtre contre Hosni Moubarak, qui a par ailleurs été lavé des accusations de corruption. L’ancien raïs, âgé de 86 ans, autrefois détesté par une majorité de l’opinion publique, était jugé pour son rôle dans la répression des manifestations de janvier et février 2011, au cours desquelles 846 personnes avaient été tuées. Le jugement intervient alors que le maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi, à l’origine de la destitution de l’islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013, est accusé d’avoir refermé la parenthèse démocratique ouverte à la faveur du soulèvement populaire de 2011. Depuis l’éviction du candidat des Frères musulmans, pas moins de 1 400 de ses partisans ont été tués, plus de 15 000 personnes emprisonnées, et des centaines de pro-Morsi condamnés à mort dans des procès de masse expédiés en quelques minutes. Le pouvoir s’en est également pris à l’opposition laïque et de gauche, emprisonnant des dizaines de jeunes militants pour avoir enfreint une loi limitant le droit de manifester.

Malgré le rêve démocratique suscité par la révolution du Printemps arabe, l’armée a donc bien repris le contrôle du pays. Le régime est devenu plus autoritaire encore que celui de Moubarak, lequel avait toléré dans les dernières années de son règne un certain assouplissement. Aujourd’hui, le réveil est dur pour les opposants. Jusqu’à ce samedi 29 novembre, ils espéraient encore un sursaut démocratique. À leur grand désespoir, la décision de justice confirme au contraire que le régime souhaite étouffer la révolution. Le gouvernement, en blanchissant l’ex-Président, ne se soucie même plus de préserver les apparences. L’entreprise du maréchal al-Sissi, élu le 28 mai dernier, consiste à faire comme si la révolution n’avait pas existé, déclarant que l’Égypte « regarde vers l’avenir et ne peut jamais revenir en arrière », déterminé à nier cette partie de l’histoire. Mais le plus préoccupant pour les opposants est qu’une grande partie de la population soutient cette politique de répression. Fatigués de l’instabilité politique qui règne dans le pays depuis trois ans, les Égyptiens aspirent, pour la plupart, à un retour au calme. Ainsi, à l’heure où le régime de Moubarak est en partie réhabilité dans l’opinion publique égyptienne, l’abandon des charges a été globalement accueilli dans l’indifférence. Un millier de manifestants tout au plus ont tenté de se regrouper sur la place Tahrir, épicentre de la révolution de 2011. Ils ont été dispersés par les forces de sécurité et deux personnes sont mortes dans les heurts.

Al-Sissi joue de cette lassitude pour s’imposer comme l’homme providentiel. Tant qu’il bénéficiera de cette stature, et à condition que son bilan économique soit positif, il sera assuré de rester au pouvoir. Mais les Égyptiens l’attendent tout de même au tournant : si le Président ne parvient pas à redresser économiquement le pays, alors la privation de liberté leur semblera de nouveau intolérable.

Monde
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