Le prix de la liberté

Après Terra Eco, le Ravi ou Zélium, c’est au tour de Bastamag de faire un appel aux dons. La presse indépendante cherche son modèle économique.

Jean-Claude Renard  • 11 décembre 2014 abonné·es
Le prix de la liberté
© Photo : Yakana / Le Ravi

Le site propose une information tournée vers l’actualité économique, sociale et environnementale, revendiquant « un journalisme de résistance ». Bastamag, ce sont six journalistes et des contributeurs pour une info en accès libre, de sorte à être partagée, pour ouvrir « des brèches dans le ronronnement médiatique, dans les discours économiques, dans les certitudes et les évidences politiques », considère Agnès Rousseaux, coordinatrice du site avec Ivan du Roy. Financé ni par des groupes industriels ni par la publicité, Bastamag engrange 500 000 visites mensuelles, sans abonnement obligatoire, et un millier de lecteurs apportent leur soutien chaque année avec des dons de 4 à 10 euros par mois. Son financement se partage entre le soutien de fondations, des aides publiques (fonds d’aide à la presse en ligne principalement), les prestations externes de l’équipe et les dons. Et même si, en 2014, les dons des particuliers assurent à eux seuls un tiers du financement, la pérennité du magazine n’est pas pour autant assurée. « L’information, même en accès libre, a un coût », prévient Agnès Rousseaux. D’où cette campagne de dons que lance aujourd’hui Basta sur son site. Objectif : 30 000 euros d’ici à la fin décembre.

Depuis septembre dernier, ce n’est pas le seul titre à recourir à une semblable campagne. Pour sauver son journal, le bimédia Terra Eco s’était lui aussi engagé dans la recherche de nouveaux partenaires, tout en publiant des appels aux abonnements et aux dons sur le site de financement participatif Ulule. Pari réussi, avec plus de 105 000 euros collectés sur un objectif de 100 000. Pari gagné également pour Zélium, pareillement lancé sur Ulule pour rassembler les fonds nécessaires à la fabrication de ses deux prochains numéros et assurer ainsi son retour en kiosque (son dernier opus paraît justement cette semaine), glanant plus de 10 000 euros sur les 8 500 escomptés. En difficulté, le mensuel le Ravi a également tiré le signal d’alarme. Malgré 50 % de ventes en plus en kiosque et 20 % d’abonnés supplémentaires, cela n’a pas suffi. En novembre, le titre a déposé son bilan, avec un trou de 60 000 euros. Sans baisser les bras, il poursuit en ligne sa demande de soutien. Suivant ces titres, dans une liste non exhaustive, l’appel aux dons se fait nécessaire, sinon indispensable. Non sans faire grincer parfois. D’aucuns estiment que les méthodes du crowdfunding (le financement participatif) sont « toxiques », pointant notamment la commission de 8 % touchée par un site comme Ulule. Ou bien encore que les médias devraient offrir de réelles contreparties, au-delà d’un simple abonnement, notamment « impliquer le lectorat dans le capital ». Mais « notre seul capital, ce sont nos lecteurs !, réplique l’équipage de Zélium. Connu et reconnu, Ulule permet de toucher un public le plus large possible. Sans eux, nous n’aurions pas réussi. Le financement participatif, c’est plein de petites briques empilées, à coups de 10, 20, 40 et parfois même 100 euros. C’est collectif, fédérateur. Et 8 % de commission, ce n’est pas mirobolant compte tenu du service rendu. »

En redressement judiciaire, le Ravi entend lancer un financement participatif, un « Ravithon », en créant sa propre interface ^2. Les adhérents de son association sont déjà très impliqués dans la vie du journal. Ce qui n’empêche pas de réfléchir à « une meilleure articulation entre journalistes, lecteurs et coopérateurs », dit Michel Gairaud, à la tête du mensuel. Circonstances différentes à Bastamag. « Nous avons l’infrastructure pour nous permettre d’éviter le financement participatif et toute contrepartie. D’autant que notre info est en accès libre. Nous misons sur le soutien, c’est un contrat direct avec le lecteur. » D’une situation à l’autre, l’appel aux dons rend compte aussi « d’un abandon de l’État sur les aides à la presse indépendante, observe l’équipe de Zélium. L’appauvrissement, voire l’absence de subventions publiques, crée une nouvelle ère économique ». Un lectorat y répond. Garant d’une presse d’utilité publique.

[^2]: www.ravi.org 

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