Un million d’emplois climatiques, vite !

On n’avancera pas sans lier le climat et la question de l’emploi.

Jean Gadrey  • 11 décembre 2014 abonné·es

L’année 2015 sera cruciale pour le climat, question étroitement liée à d’autres enjeux écologiques : biodiversité, eau, forêts, agricultures, ressources fossiles… Mais, pour que des décisions internationales fortes soient prises, il faudra une mobilisation sans précédent. Or, une proportion de plus en plus grande de nos concitoyens vit ou survit dans l’urgence, le chômage de masse bat record sur record. Et on voit mal ceux pour qui l’avenir est le lendemain, la fin du mois ou le risque de perte d’emploi, se projeter en 2030, 2050 ou plus loin encore. Les angoisses du court terme l’emportent alors sur celles du futur. On n’avancera pas, ou pas assez vite, sans lier les deux : l’enjeu climatique et la création sans tarder de centaines de milliers d’emplois. C’est la première des conditions pour que les « coalitions » pour sauver le climat deviennent de vastes mouvements sociaux rassemblant la quasi-totalité des syndicats, des associations écologiques ou de solidarité, et des millions de citoyens. Et c’est parfaitement possible.

Un rapport récent, à l’initiative de syndicats britanniques, intitulé « Un million d’emplois climatiques », contient un scénario très ambitieux consistant à créer un service public du climat, analogue au service public de santé. Il recruterait très vite des centaines de milliers de personnes pour lancer l’offensive dans des secteurs clés : énergies renouvelables, bâtiment, transports collectifs et agriculture. Les objectifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) seraient atteints en 20 ans, et ce serait la fin de l’austérité et du chômage de masse. On peut sans doute discuter ce scénario, mais l’ambition est à la hauteur des périls. Dans les quelques secteurs dont l’emploi devrait décroître, le projet prévoit la garantie d’embauche sur le territoire avec maintien du salaire, si besoin au sein de ce nouveau service public.

En France, le scénario « négaWatt » de transition énergétique et climatique, sans aller jusqu’à préconiser la création massive d’emplois publics (ce qui est pourtant une idée à retenir), prévoit autour de 700 000 créations de postes en 20 ans. Et plus encore si l’on y ajoutait la RTT. Bien d’autres dimensions d’une transition écologique et sociale réussie seraient elles aussi génératrices d’emplois [^2].

Le financement public de ces mesures est parfaitement possible lui aussi, sans creuser la dette. D’autant que les dépenses publiques à engager seraient pour plus de moitié compensées par des recettes (impôts, cotisations sociales) et des économies diverses (prestations sociales et autres dépenses liées au chômage). Alors posons tout sur la table, d’abord entre composantes de la société civile. Laissons provisoirement de côté les quelques points de friction bien connus (nucléaire, gaz de schiste). S’il s’agit à la fois de sauver le climat, de retrouver la perspective du plein-emploi et d’annihiler le lobbying des multinationales, lesquelles souhaitent conserver leurs stratégies de surexploitation de la nature et des humains, on devrait pouvoir s’entendre sur l’essentiel.

[^2]: Voir « On peut créer des millions d’emplois utiles dans une perspective durable », http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey

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