L’aveuglement des élites

Une rupture avec les modes de production actuels est indispensable.

Dominique Plihon  • 15 janvier 2015 abonné·es

Les « élites » qui dirigent la planète nous entraînent vers l’approfondissement de la crise dans toutes ses dimensions – économiques, sociales, écologiques. À la conférence climatique de Lima, qui s’est tenue en décembre 2014, les gouvernements se sont de nouveau contentés d’une déclaration d’intentions. Ils continuent de refuser toute mesure contraignante pour réduire les émissions de CO2. En Europe, la Commission réduit a minima les réformes dans son agenda, sous prétexte de le simplifier. Elle se borne à proposer un plan de relance des investissements, insuffisant et inadapté. En France, le tandem Hollande-Valls poursuit sa politique de transfert de richesses des classes moyennes vers les entreprises, dans le cadre du mal nommé « pacte de responsabilité », ce qui aggravera la récession et le chômage de masse.

Tout se passe comme si les gouvernants faisaient preuve d’« aveuglement au désastre ». Ce concept est utilisé par les économistes pour caractériser les acteurs de la finance, incapables de voir que leur comportement grégaire et court-termiste conduit à la crise, comme ce fut le cas dans les années 2000. Cette pathologie bien connue a deux sources : l’amnésie et la myopie. Ceux qui nous gouvernent ont oublié les leçons du passé, y compris récent. Ainsi, les dirigeants de la zone euro ne veulent pas voir que celle-ci est aujourd’hui menacée par la déflation, processus cumulatif de baisse des prix et de l’activité. Ils ignorent l’expérience du Japon, qui vient de subir deux décennies d’une déflation socialement dévastatrice dont il peine à sortir, et ce malgré la politique de choc du Premier ministre Shinzo Abe. Résultat de cette mémoire courte : dans la zone euro, la priorité continue d’être donnée au rééquilibrage des finances publiques, avec ses effets dépressifs, alors que la sortie de la déflation impliquerait un changement de cap radical. Même le très orthodoxe FMI tire le signal d’alarme en prévenant que les politiques actuelles aggravent la crise de la zone euro ! Cette amnésie des dirigeants européens pourrait conduire à une déflation à la japonaise, et à l’implosion de la zone euro [^2].

Par ailleurs, la myopie des « élites » est également criante dans le domaine écologique. La planète est à un moment critique de son histoire. En effet, si des politiques ambitieuses sont décidées rapidement, il est encore possible de limiter la hausse des températures à 2 °C d’ici à 2100, seuil au-delà duquel les catastrophes écologiques se multiplieront, avec un coût considérable pour les générations futures. Or, il y a une contradiction entre l’horizon long des évolutions climatiques et l’urgence des décisions à prendre. L’horizon des gouvernants est borné par les échéances électorales (il y aura cinq élections en Europe en 2015) et par la pression des lobbies, à la solde de firmes transnationales animées par un objectif de rendement financier à court terme.

Cet aveuglement des élites est endogène au fonctionnement du capitalisme, qui obéit à une logique d’accumulation sans limites du capital, et entraîne une surexploitation du travail et des ressources naturelles. Sortir de cette pathologie implique une rupture avec les modes de production et de vie actuels, que seules des mobilisations sociales et politiques fortes permettront d’imposer.

[^2]: L’économie mondiale en 2030. Ruptures et continuités, J. Mazier, P. Petit et D. Plihon, éd. Economica, 2013.

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