Syriza, le chiffon rouge

Entre diabolisation et banalisation, le parti d’Alexis Tsipras n’a pas la cote dans les médias français, qui soulignent le chaos qui régnerait si la gauche l’emportait en Grèce.

Jean-Claude Renard  • 22 janvier 2015 abonné·es
Syriza, le chiffon rouge
© Photo : AFP PHOTO / Angelos Tzortzinis

Avant que les attentats ne remplissent l’actualité, les élections législatives en Grèce commençaient à occuper les médias. France 2 ouvrait ainsi lundi 5 janvier son JT de 20 heures sur le sujet : « La chancelière allemande n’exclut plus une sortie de la Grèce de la zone euro, qu’elle juge quasiment inévitable en cas de victoire du parti de la gauche radicale Syriza. S’il est élu, dit en voix off un commentaire, son leader pourrait refuser de rembourser la dette gigantesque de son pays. » Résultat : « Un vent de panique souffle sur toutes les bourses européennes. » Sur le plateau de David Pujadas, c’est à François Lenglet, le spécialiste « éco » de la chaîne, d’intervenir : « C’est la crise de l’euro, saison 2 ! Aujourd’hui, ce ne sont plus les marchés qui mettent à mal les structures de l’Union, mais les électeurs. En Grèce, ils pourraient porter au pouvoir un parti qui préconise d’effacer la dette du pays. En Espagne, c’est aussi un parti d’extrême gauche  [sic], Podemos, qui fait la course en tête, avec un programme économique assez voisin. Face à cela, l’Allemagne se raidit parce qu’elle redoute de payer pour les autres pays. » Il n’y aura pas plus d’explication.

Dans le Point, le lendemain, le lecteur apprend qu’en cas d’ « annulation de la dette ou sortie de la zone euro, ce sont les contribuables européens qui devront régler la facture ». Pour la France, cette facture « pourrait ainsi atteindre 42 milliards d’euros, soit l’équivalent du coût du pacte de responsabilité de François Hollande d’ici à 2017 ! ». Discours identique à l’Express et à l’Expansion qui agitent les mêmes peurs, le spectre du Grexit (contraction de Greece et exit en anglais), avec des chiffres colossaux. Au Monde (10 janvier), on sort la calculette pour rendre compte d’un « scénario noir » et d’une « sortie de la Grèce qui coûterait cher à la zone euro ». Pourtant, cette sortie n’est même pas au programme de Syriza. Dans les Échos, le 8 janvier, on peut lire que « les Grecs eux-mêmes, qui disent vouloir rester dans la zone euro à 75 %, semblent circonspects sur les intentions réelles de Syriza », sans avancer un mot sur son programme et ces fameuses « intentions », avant de conclure, malgré des sondages donnant 3 points d’avance à la gauche : « Antonis Samaras est jugé comme le Premier ministre le plus adapté par 40,3 % des sondés contre 34,9 % pour Alexis Tsipras ». Tout se passe comme si les Échos avaient eux-mêmes répondu aux sondages, sinon obtempéré aux vœux de Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques, appelant les électeurs grecs à soutenir les réformes « favorables à la croissance » du pouvoir en place. Dans le meilleur des cas, ou plutôt en cas de malheur, celui d’une victoire anti-austérité, on promet à Syriza du fil à retordre et de devoir « respecter les engagements » conclus par le gouvernement actuel. Dans les Échos, le 5 janvier, banalisant les résultats, on y lisait déjà que « les risques de contagion directe d’une nouvelle crise financière au reste de la zone euro sont aujourd’hui quasi nuls » .

D’un titre à l’autre, on souligne ainsi le chaos que provoquerait la victoire d’Alexis Tsipras face aux conservateurs de la Nouvelle Démocratie (ND), seuls garants de la stabilité politique, en accord avec la troïka. Mais on n’explique pas que la dette grecque, suivant les mécanismes déjà mis en place par la troïka, ne sera jamais remboursée. Pas plus que si l’économie grecque se rétablit, en cas d’excédent, on réaménagera la dette. Or, le pays est en excédent depuis deux ans et sa dette aurait dû déjà être réaménagée ! Surtout, la victoire de Syriza n’est jamais évoquée en termes d’espoir, de stimulations pour nombre de pays européens ni comme un nouvel ingrédient [^2] qui pourrait s’opposer à un système libéral instauré depuis le traité de Maastricht, et qui proposerait une autre grille de lecture. Elle serait pourtant, cette nouvelle grille de lecture, au-delà même des questions économiques, elle aussi, colossale.

[^2]: En ce sens, la chronique de Bernard Guetta du 6 janvier sur France Inter, consacrée aux gauches radicales en Europe, apporte un bémol : « Si les urnes tenaient les promesses que les sondages font à ces mouvements, les rapports de force en seraient changés dans l’Union, et l’Europe et ses économies ne pourraient que mieux s’en porter. »

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