Russie : Boris Nemtsov, après tant d’autres…

L’opposant s’inscrit dans une longue liste de victimes d’assassinats depuis douze ans.

Denis Sieffert  • 5 mars 2015
Partager :
Russie : Boris Nemtsov, après tant d’autres…
© Photo : Iliya Pitalev / RIA Novosti / AFP

Abattu le 28 février par un tueur à deux pas du Kremlin, Boris Nemtsov n’est pas le premier opposant ou gêneur à périr de mort violente dans la Russie de Poutine. En mars 2013, c’est l’ex-oligarque Boris Berezovski qui était retrouvé mort dans un hôtel londonien. En novembre 2009, c’est l’avocat Sergueï Magnitski qui meurt en prison après avoir dénoncé la corruption de proches du régime. En juillet 2009, c’est le corps de la militante des droits de l’homme Natalia Estemirova qui est retrouvé en Ingouchie alors qu’elle dénonçait les exactions du pouvoir tchétchène pro-russe. En janvier 2009, c’est un avocat des droits de l’homme et une journaliste d’opposition qui sont abattus en pleine rue, à Moscou. Ce sera également le sort de la journaliste Anna Politkovskaïa, qui enquêtait sur les atteintes aux droits de l’homme en Tchétchénie. Il faudrait encore citer la mort par empoisonnement au polonium de l’ex-espion russe Alexandre Litvinenko, qui venait de prendre le thé, à Londres, avec deux ex-agents du KGB que les autorités russes ont toujours refusé d’extrader. Ou encore, l’assassinat du député Sergueï Iouchenkov, longtemps proche de Berezovski, tué par balles devant son domicile à Moscou. Autant d’affaires qui n’ont jamais été vraiment élucidées. En 2014, l’assassin d’Anna Politkovskaïa et ses quatre complices ont été condamnés à des peines de prison allant de douze ans à la perpétuité. Mais on ignore toujours le nom des commanditaires.

Au total, ce funeste bilan rend compte de l’état de la Russie de Poutine. Mais, comme en témoigne l’immense manifestation de dimanche, jamais un assassinat n’avait eu le même retentissement politique que celui de Boris Nemtsov, même si le meurtre d’Anna Politkovskaïa avait suscité une grande émotion. Nemtsov était l’un des chefs de file les plus en vue de l’opposition. Ultra-libéral, proche de Boris Eltsine, il avait favorisé, après le démantèlement de l’URSS, l’ouverture du marché soviétique à la finance internationale et, indirectement, l’avènement d’une oligarchie qui a largement pillé le pays. Même s’il n’a, semble-t-il, jamais été lui-même mêlé à des affaires. Mais il avait surtout la réputation d’un homme courageux, plusieurs fois emprisonné, et agressé, il n’avait jamais cédé. Ce qui lui valait un grand prestige dans une partie de la population. Il était l’adversaire de Poutine, mais aussi l’ennemi juré des ultra-nationalistes dans un climat de violence que le Président russe entretient à son profit. Et il dénonçait ouvertement la présence de soldats russes en Ukraine. Il était, selon nos critères, un homme de droite, démocrate libéral. Il était surtout un « occidentaliste ». Tout ce que Poutine et les nationalistes russes détestent.

Monde
Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier