Grèce : L’union derrière Tsipras

Malgré une campagne où il a dû affronter la violence du camp du « oui », le Premier ministre a réussi un coup de politique intérieure. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.

Angélique Kourounis  • 8 juillet 2015 abonné·es
Grèce : L’union derrière Tsipras
© Photo : MESSINIS/AFP

Ivres de joie, les Grecs du « non » ont fêté leur victoire, dimanche, tard dans la nuit. Une victoire à laquelle ils ne croyaient pas eux-mêmes, pas plus que le gouvernement ne s’y attendait. « Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pu imaginer un tel résultat », lâchait avec un grand sourire Georges Katrougalos, ministre de la Réforme administrative. Les Grecs fêtaient et fêtent encore, si l’on en croit les discussions dans les cafés, dans les supermarchés ou dans les files d’attente devant les banques, non seulement le « non » à l’austérité, mais surtout le « non » à la peur et au matraquage médiatique. Cela, malgré les incertitudes du lendemain. « Je suis fier de ce peuple », disait, dimanche soir, place Syntagma, Martin Schranz, journaliste allemand vivant depuis vingt-trois ans en Grèce : « J’ai eu peur jusqu’au bout qu’ils cèdent. » Et il y avait de quoi.

Tout ce que le pays compte comme institutions économiques, patronales, commerciales, toutes les fédérations professionnelles, l’écrasante majorité des médias avaient appelé à voter « oui » dans une campagne où tous les coups, surtout les plus bas, étaient la règle. Les grands syndicats, contrôlés par le Pasok, le parti socialiste, qui a cogouverné avec les conservateurs de 2012 à janvier 2015, avaient appelé à s’abstenir alors que le syndicat du secteur privé avait, lui, demandé « l’annulation du référendum ». La confédération des travailleurs, la puissante GSEE, le plus important syndicat en nombre d’adhérents, avait déclaré dans un communiqué relayé dans tous les médias que « la question du référendum  [était] factieuse et source de division ». Le syndicat avait dit « s’opposer à toutes les mesures d’austérité, qu’elles viennent des créanciers ou du gouvernement, mais aussi à toute remise en cause du maintien du pays dans l’Union européenne et la zone euro ». C’est sur cette peur qu’ont misé les partisans du « oui ». Ils ont parié sur le profond attachement des Grecs à l’Europe, qui à 70 %, selon les derniers sondages, veulent lui rester fidèles ainsi qu’à l’euro.

Les conservateurs n’ont cessé de brandir l’épouvantail de la sortie de l’Europe. Leur mot d’ordre, couché sur des tracts de papier glacé luxueux, était au recto sur fond rose bonbon : « Oui à la Grèce, oui à l’Europe, oui à la liberté, la dignité, le développement », et au verso, sur fond noir : « Non à la Grèce, non à l’euro, non signifie incertitude, division, isolement, non veut dire drachme ». Kyriakos Mitsotakis, qui vise désormais la présidence du parti conservateur de la Nouvelle Démocratie, n’hésitait pas à déclarer sur tous les plateaux de télévision « que le non voulait dire un retour à la Grèce des années 1950 ». Le monde des arts était, lui, très divisé. Petros Markaris, le Simenon grec, a mené une virulente campagne en faveur du « oui », tout comme Takis Theodorakopoulos, écrivain, qui clamait haut et fort : « Il n’est pas possible de faire confiance à Tsipras. » Pourtant, plus de 61 % des Grecs ont tourné le dos à cette élite. Pourquoi ?, se demandait Yiannis Pretenderis, journaliste vedette sur la chaîne privée Mega et éditorialiste du quotidien Ta Nea, deux médias ouvertement en faveur du « oui ». La réponse est simple : si le « oui » était le vote de la peur – une peur réelle de sortie de l’Union européenne, du chaos à l’Argentine –, le « non » était celui de la colère et de la rage. La rage de voir l’acharnement des médias présenter une image fausse de la situation pour créer un climat de terreur, et la colère de voir que leur choix et décisions politiques ne sont pas pris en compte par les créanciers.

Des créanciers qui appelaient ouvertement au renversement d’Alexis Tsipras. Signe qui ne trompe pas : des slogans « Non à la terreur ! » ont fait leur apparition sur les murs de la capitale. Et il faut dire aussi un mot des sondages. Ils annonçaient un coude-à-coude avec moins de 1,5 % de voix de différence, et les commentateurs voyaient un pays divisé, au bord de la guerre civile, avec un Alexis Tsipras démissionnaire. Ils en appelaient déjà à un gouvernement d’union nationale pour sauver l’euro. Une dramatisation extrême. Rien de tout cela n’est arrivé. D’où ce soupçon : les sondages étaient-ils sciemment faussés ? Ce qui ne serait pas étonnant dans cette campagne d’un autre siècle qui a dominé depuis l’annonce de la tenue du référendum et de la fermeture des banques. Avec en tête du peloton le groupe de presse Skaï, qui a tweeté durant toute la semaine des phrases assassines du style : « Vous voulez perdre toutes vos économies ? Votez non ! »  ; « Vous voulez qu’il n’y ait plus de médicaments ? Votez non ! », etc. Sur la chaîne privée Antenna, se sont succédé des reportages sur les retraités qui font la queue devant les banques sur un ton de dramatisation extrême, des images de supermarchés « pris d’assaut ». Quand la caméra n’errait pas dans les rues vides d’Athènes, filmant des terrasses désertes, avec ces mots en incrustation : « Seule la peur circule à Athènes. » Le quotidien Expresso, très populaire, publiait en une la photo d’un vieil homme tenant en pleurant trois miches de pain sous un bandeau : « Les sanglots de notre vieillesse. » Sauf que la photo datait de 2011, elle avait été prise en Turquie lors d’un tremblement de terre et le vieil homme pleurait les siens ensevelis sous les décombres.

Pas étonnant dans ces conditions que, dimanche soir, sur la place Syntagma, les Grecs se soient mis à hurler d’une seule voix : « Voyous ! journalistes ! » Mais au terme de cette incroyable semaine où les Grecs sont passés par tous les sentiments, chacun est conscient que le plus dur reste à faire : trouver un accord viable avec les créanciers qui permette de sortir de l’impasse. Car victoire du « non » ou pas, les banques ne peuvent rester fermées encore longtemps. Aussi, Alexis Tsipras a-t-il multiplié les gestes envers ses homologues européens, dès dimanche soir. Il a eu la victoire modeste. Il n’a pas rejoint ses partisans qui l’attendaient place Syntagma. Au contraire, il a immédiatement appelé François Hollande pour voir comment la reprise des négociations pouvait se faire. Et il a « sacrifié » son ami Yanis Varoufakis, dont la tête était mise à prix à Bruxelles et à Berlin. Le très discret, mais tout aussi marxiste Euclides Tsakalotos, le remplace désormais à la tête du ministère des Finances. Enfin, pour faire bloc face aux créanciers, Tsipras a réuni tous les chefs politiques du pays, exception faite des néonazis, pour signer un communiqué commun plaidant « pour la conclusion d’un accord couvrant les besoins de financement du pays, accompagné de réformes et d’efforts budgétaires justement repartis ». Même les communistes l’ont signé, alors qu’ils avaient appelé à voter blanc ou à s’abstenir. Avec le référendum, Tsipras a réussi une opération de politique intérieure. Le pays est uni, mais pour combien de temps ?

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