Grèce : « Toute humiliation a ses limites »

Depuis l’annonce du référendum, le débat fait rage dans les rues de la capitale. Et l’opposition conservatrice se réveille. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.

Angélique Kourounis  • 1 juillet 2015 abonné·es
Grèce : « Toute humiliation a ses limites »
© Photo : ARIS MESSINIS/AFP

«On vit des moments de fierté nationale uniques ; ils peuvent dire ce qu’ils veulent, menacer autant qu’ils veulent, je vote non. On va tous en famille voter non ! » Irini Kontaridou, 39 ans, professeure de lettres touchée de plein fouet par la crise, est sur un nuage depuis l’annonce du référendum du 5 juillet. Elle a voté Syriza en janvier dernier, comme tous les siens, et depuis elle ne cessait de critiquer Alexis Tsipras pour ses « kolotombes », « ses bonds en arrière ». « Il avait dit que dès son élection il allait déchirer les mémorandums d’austérité devant le Parlement, et, nous, ce qu’on voyait, c’est qu’à chaque nouvelle négociation, il renonçait un peu plus à ses promesses. Mais là, avec ce référendum, il se rachète à 100 %. » La fermeture des banques ne l’inquiète pas outre mesure : « Cela fait longtemps qu’on passe la semaine avec au maximum 60 euros, alors 60 euros par jour, c’est royal ! », dit-elle en riant. « Mais c’est juste que je ne les ai pas ! »

Comme Irini, beaucoup de Grecs ont été surpris, vendredi soir, par l’annonce de la tenue du référendum. Une grande partie a cédé à une mini panique bancaire, notamment dans les quartiers les plus huppés de la capitale, comme à Pangrati. D’un seul coup, tous ceux qui étaient attablés dans une taverne ou à une terrasse de café se sont rués vers les distributeurs pour retirer leurs économies ou de quoi tenir la semaine. Dans le quartier estudiantin d’Exarchia, personne n’a bougé d’un pouce. Les distributeurs sont loin et puis ce n’est pas la philosophie du lieu. « Il l’a quand même fait », s’étonne Fanis, la trentaine, entre deux bouchées : « Chapeau Alexis, je vote non ! Ras-le-bol de leurs gueules à ces créanciers ! » Face à lui, sa collègue dans son cabinet d’avocats, Mirella, plus âgée, ne cache pas son inquiétude : « Crétin ! Et avec quoi on va vivre ? Payer nos importations ? Ce n’est pas au peuple de décider, c’est lui le Premier ministre. Il n’a pas le courage et s’en remet à nous ; comme ça, il est couvert quoi qu’il arrive. C’est de la lâcheté. » Ses voisins de table ne sont pas d’accord : « Non ! Pour une fois qu’on nous demande notre avis, on ne va pas refuser ! Il n’a pas été élu pour appliquer l’austérité, ni pour nous sortir de l’euro, c’est normal qu’il s’en remette au peuple, et moi aussi je vote non ! Toute humiliation a ses limites », tonne Aristide, l’époux de Mirella. La soirée continue dans une bonne humeur teintée d’inquiétude. Fanis est philosophe et tente de rassurer son associée : « Tu crois franchement qu’en cas de Grexit, on ne se retrouvera pas dans cette taverne, comme on l’a toujours fait ? »

En fait, le pays est plus divisé que jamais. Et la violence des débats samedi au Parlement, lors de la cession visant à approuver le référendum, n’augure rien de bon. L’opposition conservatrice a accusé Alexis Tsipras de mener le pays « droit dans le mur », les socialistes ont exigé des élections anticipées, et le parti centriste, La Rivière, nouveau poulain de Bruxelles, a accusé Alexis Tsipras de s’être « plus préoccupé de l’unité de son parti que du bien du pays ». Son dirigeant, Stávros Theodorákis, s’est livré à une série d’attaques en règle contre Alexis Tsipras et son allié de la droite souverainiste au sein de la coalition gouvernementale, Pános Kaménnos. Fustigeant Syriza en général, et accusant les députés du parti de Tsipras « de n’avoir jamais travaillé de leur vie ». Cela faisait longtemps qu’autant de mauvaise foi n’avait pas retenti dans l’enceinte de la Vouli, le Parlement grec. Et c’est d’autant plus inquiétant que le référendum exigerait un minimum de calme dans le pays. En réalité, rien de tel en ce moment en Grèce, où toute action du gouvernement divise un peu plus la population. Comme la fermeture des banques et de la Bourse, « qui aurait dû être faite depuis longtemps », selon Antonis Dimopolos, 36 ans, informaticien au chômage et partisan du « non », « pour éviter la fuite des capitaux qui a affaibli le pays ». Yiannis Polichronidis, médecin retraité, s’apprête, lui, à voter « oui des deux mains ». Comme une grande partie des conservateurs, il soupçonne Alexis Tsipras d’avoir toujours voulu sortir le pays de l’eurozone « mais d’y avoir mis les formes pour mieux tromper la population » .

De fait, Alexis Tsipras a été élu pour mettre fin à l’austérité dans le cadre de l’euro. Or, ce n’est pas possible. Tous les plans de réforme proposés par les Grecs ont été retoqués par les créanciers, car trop éloignés de la politique d’austérité exigée. D’où ce référendum qui, selon les déclarations télévisées du Premier ministre le 29 juin, « est la continuation des négociations ». Mieux, « une arme de poids dans ces négociations ». Et Yanis Varoufakis, le ministre des Finances, d’enfoncer le clou en expliquant que Syriza a obtenu 149 sièges sur 300 au Parlement à cause de la loi électorale grecque qui donne 50 sièges de plus au premier parti. Mais, avec 36 % des voix, il n’a pas la légitimité populaire pour prendre une décision aussi importante qu’un affrontement avec les créanciers ou l’adoption de l’austérité. Le référendum peut la lui donner dans l’un ou l’autre sens. Si le « oui » l’emporte, alors Alexis Tsipras devra retourner à la table des négociations et signer un nouveau mémorandum d’austérité. Avec le risque politique que Syriza se vide de son essence de parti de gauche sans grande différence avec le Pasok. D’où l’évocation de la démission d’Alexis Tsipras par certains de ses ministres, dont Alekos Flabouraris, numéro trois du gouvernement, information immédiatement démentie. Alexis Tsipras s’est engagé à respecter le verdict du référendum et à continuer de travailler pour réformer le pays. C’est même sa seule chance de survie politique dans ce cas de figure, d’autant qu’un « oui » lui permettrait de se défaire de l’aile gauche du Syriza, ce qui lui ouvrirait d’autres horizons.

C’est en tout cas ce que redoute Loucas Stamellos, 35 ans, anarchiste qui n’a pas voté depuis 15 ans et qui, non seulement va faire le déplacement dimanche, mais qui milite activement pour le « non ». « Pour la première fois, mon vote va vraiment compter. Je peux changer quelque chose. Il ne faut pas louper cette occasion. » Mais, dans le fond, il n’y croit pas trop. « Les gens ont peur de sortir de l’euro. Au dernier moment, ils vont faire marche arrière. Et puis, de toute façon, ils vont trouver un accord avant la tenue du référendum. Vous verrez. » Une opinion souvent entendue dans les rues d’Athènes lundi matin, premier jour ouvrable après l’annonce de la mise en place des contrôles des capitaux et de la fermeture des banques. Sur la place Kypseli, un quartier populaire d’Athènes, quatre banques se font face, toutes fermées, avec quatre distributeurs ouverts et juste trois personnes qui font la queue dans le calme. D’ailleurs, le plus étonnant, c’est le contraste qui règne dans les rues de la capitale entre l’effervescence des centaines de journalistes qui traquent le moindre signe de panique des Grecs dans les supermarchés, les stations-service ou devant les banques, et le calme des Grecs qui vivent mal cette soudaine notoriété. « Vous venez filmer quoi ? Notre déchéance ? », apostrophe un sexagénaire, partisan du « oui » et qui refuse de donner son nom et menace d’appeler la police si le journaliste ne baisse pas sa caméra. Déchéance ? Voilà un mot que ne viendrait pas à l’idée d’Irini. Pour elle, ce référendum, même s’il vient trop tard, est une libération.

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