La Grèce sur la corde raide

Aucune procédure n’est prévue pour exclure un pays de la zone euro.

Thomas Coutrot  • 1 juillet 2015 abonné·es

Il a refusé d’aggraver la saignée sans fin imposée à son peuple. Il est donc sorti, par l’appel au vote populaire, du huis clos étouffant de l’Eurogroupe. Le gouvernement grec fait ainsi entrer un puissant vent frais dans l’air fétide des institutions européennes. Mais si le « non » l’emporte au référendum, la Grèce marchera sur la corde raide, entre l’inévitable défaut sur la dette et la possible sortie de l’euro. Il n’est pas certain que les électeurs grecs résistent au chantage imposé par la fermeture des banques et la menace d’expulsion de la zone euro. Mais en cas de « non », la Grèce devrait alors faire défaut sur sa dette. Car faute de réserves en devises, elle ne peut aujourd’hui faire face aux échéances de remboursements qu’en empruntant à nouveau : comme tous les pays européens, elle fait « rouler » sa dette, la différence étant qu’elle emprunte non pas aux créanciers privés (banques, assurances, fonds spéculatifs… qui exigeraient des taux d’intérêt exorbitants), mais aux institutions publiques (FMI, BCE, MES…).

Techniquement, le défaut sur la dette n’implique en rien une sortie de l’euro : la BCE pourrait poursuivre son soutien à la liquidité des banques grecques, soutien d’ailleurs rendu moins nécessaire par le contrôle des mouvements de capitaux, lequel stoppera l’hémorragie qui asséchait les banques grecques. En maintenant le système bancaire grec dans la zone euro, en contribuant si nécessaire à sa recapitalisation, la BCE pourrait donner du temps à la Grèce pour relancer son économie. Les Grecs pourraient alors créer une monnaie complémentaire nationale – un « eurodrachme » à vocation interne avec lequel l’État paierait une partie des salaires des fonctionnaires et des factures de ses fournisseurs, relançant ainsi la production interne. Avec un plan de transition énergétique basé sur les abondantes ressources solaires et éoliennes, sur une politique industrielle et des transferts de technologie ; avec un soutien massif aux initiatives de l’économie solidaire et autogérée ; avec une réforme mettant fin à l’évasion fiscale et à la fraude massive des patrons : en deux ou trois ans, le pays pourrait amorcer une bifurcation décisive.

C’est précisément cette possibilité dont ne veulent à aucun prix les élites européennes, sociales-démocrates et conservatrices confondues. À quelques mois des élections espagnoles, le plus probable est donc qu’elles poursuivent leur coup d’État financier et poussent la BCE à lâcher les banques grecques. L’État grec sera alors obligé de nationaliser et de recapitaliser les banques. Avec quelle monnaie ? Que ferait la BCE si la Banque de Grèce émettait des euros pour l’occasion ? Pourrait-elle décider d’interrompre toutes les transactions en euro avec la Grèce et ses banques ? Intéressant cas d’école… Car aucune procédure n’est prévue dans les traités pour exclure un pays de la zone euro et l’obliger à recréer une monnaie nationale. Deux facteurs pourraient renforcer la position grecque dans ce bras de fer difficile. Le premier est la mobilisation des mouvements sociaux et des opinions publiques européennes pour le respect de la démocratie. Le second est la peur de la BCE vis-à-vis d’une crise spéculative contre les maillons faibles suivants, le Portugal et l’Espagne, amenant un krach monétaire et financier. La corde est raide, et l’acrobate avance encore. S’il tombe et sort de l’euro, la chute sera rude mais pas mortelle.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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