Lent du neurone

Nous, Gaston, nous allons résister à la zemmourisation de l’époque, où le bouc émissaire se débite par barquettes de vingt.

Sébastien Fontenelle  • 1 juillet 2015 abonné·es

**Le quotidien la Croix racontait l’autre jour que Manuel Valls (rires) avait *« concédé » qu’aneffet, il considérait, quant à lui, que « l’islam » allait constituer, dans les deux années qui nous séparent de la présidentielle de 2017, « un enjeu électoral ». Le choix de ce verbe – « concéder » – est par lui-même intéressant pour ce qu’il révèle de l’état d’esprit des gens qui font les titres chez la Croix  : il suggère que l’idée que l’islam puisse représenter un enjeu électoral serait si étrangère à Manuel Valls (rires) que l’excellent homme devrait fournir un assez conséquent effort pour se résoudre à l’envisager.

Mais dans la vraie vie, nous le savons : tel n’est pas du tout le cas. Dans la vraie vie, nous le savons : il y a fort longtemps que l’islam représente dans l’esprit de Manuel Valls (rires) un enjeu électoraliste d’importance, et que lui-même s’applique, par conséquent, à confectionner des saillies d’où ressort, par exemple, que « la question du voile relève », vue depuis le promontoire d’où il toise la laïcité, « d’un combat plus large sur la condition des femmes dans les quartiers populaires [^2] », ou qu’il doute que la religion musulmane soit complètement « compatible avec la démocratie [^3] ». Au reste, et nonobstant ce passif, Manuel Valls (rires) pourrait tout à fait décider (pris d’un tardif remords) de ne pas du tout concéder cela. Manuel Valls pourrait, tout au rebours, considérer par exemple que non, Gaston – foutre non –, l’islam ne sera pas un enjeu électoral. Non, nous ne nous laisserons pas dicter notre agenda par les marchands de haine qui depuis vingt ans nous vendent à la criée du « choc des civilisations » entre, d’une part, la muslimanie ensauvagée et, de l’autre, l’Occident lumineux (dont l’avancement se voit notamment à ce qu’il a su produire Michel Onfray, alors que l’Égypte, non, t’as vu).

Nous, Gaston ? Nous allons résister à la zemmourisation de l’époque, où le bouc émissaire mahométan se débite par barquettes de vingt. Parce que nous gardons le souvenir de celle (d’époque) où ce hideux traitement était appliqué à d’autres minorités maltraitées – et de la façon dont tout cela peut se terminer, quand on le tolère trop. Parce que nous avons tôt mesuré que l’islamophobie rabique où communient d’entiers pans du commentariat hexagonal est le paravent derrière quoi se fabrique l’asservissement général aux cruautés capitalistes. Et parce qu’en somme – et pour le dire plus vitement : nous sommes de gauche, nous, Gaston, et… Attends. Alors ça, c’est marrant : tu vas dire que je suis un peu lent du neurone, mais je viens juste de comprendre, en écrivant cette dernière ligne, pourquoi Manuel Valls n’aurait, de fait, pas pu dire autre chose, sur l’islam comme enjeu électoral, que ce qu’il a dit.

[^2]: Je te laisse réfléchir toute seule à ce qu’une telle profération nous dit des vues de son auteur ?

[^3]: Après quoi, turellement : il assure qu’il n’a bien évidemment pas voulu signifier par ces mots qu’il doutait le moins du monde que l’islam soit compatible avec la démocratie, allons, allons, que l’on ne lui fasse pas dire ce qu’il a suggéré.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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