Prison de la Santé : Dernier inventaire avant travaux

La maison d’arrêt parisienne a fermé ses portes pour rénovation. Elle n’en a pas moins gardé quelque temps les stigmates de l’incarcération, dans un silence assourdissant.

Jean-Claude Renard  • 8 juillet 2015 abonné·es
Prison de la Santé : Dernier inventaire avant travaux
© Photo : Jean-Claude Renard/Politis

Dans la cour de promenade, deux ballons crevés semblent orphelins. Deux ballons isolés, sans un joueur pour taper dedans. Dans un coin, un autre ballon soupire à l’ombre des barbelés. À peine plus loin, un autre ballon encore est resté coincé dans le grillage, suspendu au temps, à côté d’une bouteille. Qui viendrait le réclamer ? Dans la deuxième division du bâtiment, toutes les portes des cellules sont ouvertes. Les courants d’air claquent, le vent s’engouffre à l’envi, comme un air de récréation. À l’intérieur des cellules, demeurent les stigmates de l’incarcération. Des lits superposés, des matelas à nu, une boîte aux lettres de fortune, des photos, un lavabo usé par le temps, des toilettes crachant leur promiscuité au-dessus d’un revêtement décati, dans moins de 9m2. D’une aile à l’autre, dans un silence frappant, d’une coursive à l’autre, surmontées d’un filet de sécurité, dans cet édifice en meulière disposé en trapèze, s’alignent des murs délabrés. « Vidés, les lieux n’ont pas été chauffés cet hiver, ils en ont beaucoup souffert, tout s’est dégradé rapidement », constate un surveillant. De fait, plus une peinture ne tient, laissant une impression d’abandon brutal que renforce la sévérité des lieux.

En juillet 2014, trop vétuste, la maison d’arrêt de la Santé a fermé ses portes. L’expression vaut aussi pour la prison. Seul le centre de semi-liberté reste en fonction, recevant pour la nuit quelque cent détenus. La rénovation de la Santé est prévue sur trois ans. Dans le quartier bas, le projet est de passer de trois à deux cellules. Déjà, en 2006, de premiers travaux de restauration avaient commencé, induisant un transfert de détenus (en 2013, les lieux « hébergeaient » encore 665 personnes). Construite dans les années 1860, dessinée par l’architecte Vaudremer, la Santé est la dernière prison intra muros à Paris depuis la fermeture de la Petite Roquette, en 1974. C’est dire si elle concentre une part importante du patrimoine architectural parisien, et combien elle nourrit une mémoire et son imaginaire collectif. C’est entre ces murs que sont passés Apollinaire, le docteur Petiot, Ben Bella, Jean Genet ou encore François Besse, Jacques Mesrine, Michel Vaujour, Albert Spaggiari, Carlos, et plus récemment Bernard Tapie, Jérôme Kerviel… C’est là enfin que furent exécutés les derniers détenus de la Santé condamnés à mort, Bontems et Buffet, en 1972. Ouverte pour la première fois au public à l’occasion des journées du patrimoine, en septembre 2014, elle avait attiré autour de deux mille personnes. Au printemps, la maison d’arrêt a vécu sous les projecteurs, au rythme des tournages. Pour le cinéma d’abord, dans une fiction relatant cette histoire d’amour entre le directeur de la prison de Versailles et une détenue. Pour une nouvelle saison de la série Braquo (Canal +) ou encore un documentaire et un web-doc de Nicolas Lesoult (diffusé à la rentrée sur politis.fr), qui entend réaliser une visite virtuelle de la Santé, avant ses grands travaux.

Vidée de ses occupants, la maison d’arrêt n’en a pas moins gardé son quotidien ordinaire, avec son architecture, ses aménagements, sa signalétique particulière. À l’entrée, une porte annonce le « greffe », par où passe tout détenu ; d’autres indiquent la « salle d’attente », la « promenade », le bureau du « Spip » et celui du « personnel », les « activités ». Un panneau met en garde : « Chemin de ronde, zone de silence et de sécurité ». Au niveau des ateliers, où les détenus s’employaient à des travaux de manutention, il est écrit en bleu sur fond blanc et cerclé d’un trait rouge : « Pointages tout au fond ». Sur d’épais registres figurent les noms des prisonniers, leurs horaires et les outils prêtés pour travailler. Supplément d’âme, dit-on. Mais c’est toujours et encore vers les perspectives sidérantes des travées et des coursives que se porte le regard, vers les cellules ouvertes, les serrures lourdes, où transpire partout une humanité. Ici un œilleton coloré, là des graffitis sur les murs, en toutes langues, partage de noms, de dates, de chiffres qui parfois ne manquent pas d’humour ou d’ironie : « À la folie/Plus que la folie – Bonne poire ». Là encore, un sexe dessiné, des posters de voitures, de footeux, de plantureuses femmes sorties de magazines, scotchés aux cloisons. Il faut bien rêver un peu. Avant les coups de pioche qui tout effacent.

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