Tonalestate : « Ne pas rester spectateurs »

L’association italienne anticolonialiste Tonalestate est devenue en quelques années un haut lieu de réflexion sur les maux et les conflits du monde. Maria Paola Azzali, sa présidente, revient sur les travaux des années passées et présente la session 2015.

Denis Sieffert  • 16 juillet 2015 abonné·es
Tonalestate : « Ne pas rester spectateurs »
© **Maria Paola Azzali** est présidente de Tonalestate. **Tonalestate 2015** , du 4 au 7 août, à Passo del Tonale (TN) et Ponte di Legno (BS). www.tonalestate.org Traduction de l’italien : Monica Lanzoni Photo : NATALIA KOLESNIKOVA/AFP

Depuis quatorze ans, l’association Tonalestate organise dans la région de Bologne des débats autour d’un grand thème qui agite notre époque. L’an dernier, c’était l’histoire. Du 4 au 7 août, l’édition 2015 invitera intellectuels, militants et acteurs de la vie sociale à réfléchir au « délire de la toute-puissance ». Un sujet prométhéen aux multiples entrées, politiques, écologiques, scientifiques, philosophiques. L’occasion de faire un peu plus connaissance avec ce mouvement culturel, d’origine catholique, mais laïque et non confessionnel.

Pouvez-vous nous présenter Tonalestate, son histoire, ses objectifs, son réseau ?

Maria Paola Azzali : L’association Tonalestate est née le 28 juillet 2001. L’idée d’origine était de réunir tous ceux qui sont désireux de ne pas rester spectateurs face à notre temps si confus, si désordonné et terriblement cruel. Mais Tonalestate ne peut être enfermée dans le schéma classique d’un congrès culturel. La vraie date de naissance est plutôt à chercher dans les années 1960, dans une ville italienne, Reggio Emilia, où vivait le professeur Giovanni Riva, fondateur de Tonalestate, qui nous a quittés il y a trois ans. Sa passion éducative a permis à un groupe de jeunes étudiants désireux de participer à la vie sociale, culturelle et religieuse de leur ville de se rassembler autour de lui. Ils ont organisé dans les écoles des cours autogérés de littérature, d’histoire et d’économie ; ils promouvaient dans les quartiers et dans les usines des manifestations de résistance face aux injustices et aux violences dont ils étaient témoins. Ces jeunes géraient, toujours accompagnés par le professeur Riva, une librairie, un hebdomadaire à diffusion nationale, des écoles, une maison d’édition, et menaient à bien diverses expériences de solidarité. Dans les années 1980, Giovanni Riva déménagea en Amérique latine pour enseigner la philosophie, puis il se rendit au Japon et dans différents pays européens. Cette grande « compagnie », formée autour de lui, a commencé à se rassembler chaque été pour une période de vacances communes dans les Alpes italiennes. Pendant ces jours de repos et de partage, sont nées des discussions et des questions sur ce qui se passait dans le monde, on partageait des expériences de travail, on cherchait des modalités constructives d’intervention. De là l’idée de rendre publique cette façon originale de « passer les vacances », en y conviant les habitants, les hôtes et les amis rencontrés pendant l’année. Nous avons invité, entre autres, des intellectuels comme Francisco Prieto, des leaders sociaux comme Javier Sicilia, des philosophes comme Emanuele Severino, des scientifiques comme Marcello Buiatti, des journalistes comme Aldo Giobbio, Dominique Vidal, Corrado Corghi, des hommes d’État comme Rubén Zamora [ex-leader d’une coalition de la gauche salvadorienne, NDLR].

Quelle est la structure de l’association, son mode de financement, ses processus de décision ?

La principale source de financement de Tonalestate est la contribution de ses sympathisants, complétée par quelques parrainages d’organismes locaux ou de fondations privées. Sa structure, organisée autour d’un président, d’une direction et d’un centre international d’étude, comprend des centres culturels, en Europe, en Asie, et dans les Amériques.

Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous vous positionnez dans quelques-uns des grands conflits du monde ?

Nous invitons des témoins directs et engagés, comme le Républicain irlandais Francie Brolly et le militant basque Gabriel Mouesca, ils ont évoqué leur expérience de lutte en Irlande du Nord et dans le Pays basque. D’autres se sont exprimés sur le Rwanda, le Cambodge, le Zimbabwe, la Tchétchénie ou les Territoires palestiniens occupés. Nous avons par exemple recueilli des témoignages sur le massacre d’El Mozote, en 1981, au Salvador. Le congrès a également donné la parole à la famille de l’anarchiste Giuseppe Pinelli, défenestré depuis les locaux de la police de Milan, en 1969. Nous avons aussi travaillé à la reconstruction après les années de plomb italiennes. Le combat pour les droits de l’homme en Russie de la journaliste Anna Politkovskaïa et de l’intellectuel Andreï Mironov, tué en Ukraine en 2014, de Nishio Yoshio à Hiroshima, la lutte inlassable d’Anwar Abu Eisheh, de Michel Warschawski et d’Uri Avnery pour une solution au conflit israélo-palestinien, ont été au cœur de nos débats. On a entendu des hauts représentants des grandes religions monothéistes. Nous avons également organisé des projections de films documentaires et des expositions photographiques sur l’Argentine, sur les jeunes femmes aspergées d’acide, sur la catastrophe nucléaire de Fukushima, aussi bien que sur une petite guarderia (garderie) pour les enfants de la rue, à San Salvador, ou le projet Libros Libres destiné aux adolescents de Tegucigalpa, au Honduras. Anonymes ou intellectuels reconnus, tous profondément engagés, ils ont appris la manière d’affronter ces problèmes politiques et sociaux.

**Chaque année, votre congrès choisit un thème. Cette fois, vous avez retenu le thème du « délire de la toute-puissance? » Pourquoi ? **

« Le délire de la toute-puissance » rend compte de comportements qui tendent à se généraliser. Il y a une force qui rend l’homme convaincu d’avoir tous les privilèges et qui lui permet tout type d’action, même illégitime, voire injuste ou criminelle. Ce délire est caché ou se manifeste dans nos choix, dans nos relations et dans nos décisions, des plus petites aux plus grandes. Tonalestate se demande : existe-t-il un remède au délire de toute-puissance qui engendre, à l’extérieur et à l’intérieur de nous, tant de mal ? L’histoire attend que quelque chose se déclenche en nous, que notre imagination se réveille et qu’elle se mette volontiers au travail dans l’action en faveur des « autres ».

Temps de lecture : 5 minutes