Le « coup d’État » du 13 juillet…

Sous la pression des institutions européennes, Alexis Tsipras a dû accepter un « plan d’aide » allant à l’encontre de la volonté du peuple grec. Comment le piège s’est-il refermé ? Avec quelles conséquences ? Récit.

Thierry Brun  et  Michel Soudais  • 9 septembre 2015 abonné·es
Le « coup d’État » du 13 juillet…

Au petit matin d’un long huis clos, Jean-Claude Juncker résume le soulagement des chancelleries. « Le Grexit a disparu », lance à la presse le président de la Commission européenne. Après dix-sept heures de négociations, ce lundi 13 juillet, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro viennent d’arracher de haute lutte un accord à Alexis Tsipras, qui ouvre la voie à un troisième « plan d’aide » à la Grèce. Cet « accord difficile », comme le qualifie le Premier ministre grec, un peu sonné, éloigne le spectre d’une sortie de la Grèce de la monnaie unique, envisagée par le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schaüble, mais les contreparties imposées à Athènes sont draconiennes. Elles se lisent comme « les conditions de reddition de la Grèce », note à chaud Yanis Varoufakis, alors ministre des Finances. Avant de commencer à négocier l’aide promise (entre 82 et 86 milliards d’euros sur trois ans), destinée surtout à rembourser ses créanciers et à recapitaliser ses banques, le gouvernement grec devait faire voter en moins de 48 heures plusieurs lois de réformes (hausse de la TVA et réforme des retraites, notamment). Réformer également son code de procédure civile et transposer une directive sur le redressement des banques avant le 22 juillet. Pour la suite, l’accord prévoit une dérégulation poussée du code du travail et 50 milliards d’euros de privatisations, avec la constitution d’un fonds chargé de les superviser.

Sitôt connu, l’accord du 13 juillet apparaît aux sympathisants du gouvernement grec comme un « coup d’État », à l’image du #ThisIsACoup qui a fait florès sur Twitter. Un « diktat » qui fait de la Grèce un « protectorat » aux mains de ses créanciers : « Le gouvernement, stipule l’accord, doit consulter les institutions et convenir avec elles de tout projet législatif […] dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement. » De retour à Athènes, Alexis Tsipras, justifie sans enthousiasme sa signature dans une allocution à la télévision publique : « J’assume la responsabilité pour un texte auquel je ne crois pas, mais je le signe pour éviter tout désastre au pays. » Comment en est-on arrivé là ? Faisant fi du vote des Grecs qui, à deux reprises, aux législatives du 25 janvier et par référendum le 5 juillet, ont manifesté leur refus des politiques d’austérité, les dirigeants européens n’ont à aucun moment cherché à trouver un compromis raisonnable. Mais ont tout mis en œuvre pour mettre au pas un gouvernement qui ne leur convenait pas, confirmant le constat que faisait Yanis Varoufakis dans la préface à l’édition française de son Minotaure planétaire : « L’Union européenne a, de longue date, pris l’habitude de considérer la démocratie comme un luxe et un désagrément. »

Et cela sans attendre que le nouveau pouvoir s’installe pleinement. Dès sa première rencontre avec le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem, président (travailliste) de l’Eurogroupe, le 30 janvier, Yanis Varoufakis raconte que ce dernier a sommé le nouveau pouvoir grec de renoncer à son programme et d’appliquer les politiques imposées aux gouvernements précédents, bien qu’elles aient échoué, échec qui expliquait la victoire de Syriza. C’était ça ou les banques grecques seraient fermées. Et c’est ce qui s’est passé. Dès le 4 février, la Banque centrale européenne décidait de priver les banques grecques d’une de leurs sources de financement (la possibilité d’apporter des titres grecs en garantie) et de ne maintenir que l’aide d’urgence aux banques (ELA). Le coup d’État financier était enclenché. Le nœud coulant ainsi posé n’allait cesser de se resserrer sur la Grèce jusqu’à provoquer un « bank run » et la fermeture des banques. Dans un entretien au Figaro le 29 janvier, Jean-Claude Juncker avait prévenu le nouveau pouvoir à Athènes et tous ceux qui souhaitaient emprunter la même voie : _« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »  

Vu la tournure prise par les négociations, Yanis Varoufakis affirme alors qu’il est prêt à mettre en œuvre un plan B bien ficelé, consistant à nationaliser les banques et à réquisitionner la Banque centrale de Grèce. Son idée : lancer une monnaie parallèle à l’euro, convertible en drachme, la monnaie d’échange de la Grèce avant l’euro. Cette piste avait germé bien avant l’arrivée de Syriza au pouvoir. Dans un billet prémonitoire, Varoufakis imaginait en février 2014 une sorte de « monnaie parallèle » pour les États de la zone euro. Il en expliquait les mécanismes permettant de créer une devise qui serait une « source de liquidité indépendante du marché », administrée « par les usagers », « n’impliquant pas les banques et [existant] en dehors de toutes les restrictions imposées par Bruxelles » et Berlin. Soumise au Premier ministre, cette proposition visait à desserrer l’étau et à gagner du temps, non à sortir de l’euro, même si elle pouvait y conduire. Mais, au lendemain du référendum, Alexis Tsipras sacrifie son ministre des Finances pour se rapprocher des créanciers, après avoir déjà remanié son équipe de négociateurs en avril dans le même but. Il expliquera le 14 juillet avoir demandé « une étude sur les conséquences d’un Grexit » et jugé alors qu’elle ne constituait pas « une solution alternative ». D’où l’acceptation du 3e « plan d’aide », plus dur que celui rejeté par les électeurs lors du référendum du 5 juillet.

Économiquement, la facture est sévère. La purge décidée par les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, une large majorité d’économistes en sont d’accord, aura d’importants effets récessifs qui ne pourront être que très hypothétiquement compensés par les effets escomptés des réformes de structure et du plan d’investissement promis. Politiquement, elle se paie double. Syriza, qui espérait changer l’Europe, change sous la pression de l’Europe. D’où un éclatement du parti, qui n’exclut plus de gouverner avec le Pasok honni. Lors des votes des nuits des 15 et 22 juillet sur les réformes immédiates demandées par les créanciers, Alexis Tsipras enregistre une trentaine de défections dans son camp. Une quarantaine le 14 août quand il s’agit d’approuver en vingt-quatre heures le 3e plan d’aide, un projet de loi de presque 400 pages, rédigé dans une langue technocratique absconse. Ce qui est fait essentiellement grâce aux voix de l’opposition (Nouvelle Démocratie, Pasok, Potami).

Une semaine plus tard, avec l’annonce de nouvelles élections, l’aile gauche de Syriza lance son parti, baptisé Unité populaire. L’échec du gouvernement d’Alexis Tsipras à infléchir le cours de l’Europe rejaillit également sur tous les partis de gauche ou écologistes qui, à travers l’Europe, soutenaient Syriza et s’étaient félicités de sa victoire. Comme lui, ils imaginaient pour la plupart qu’il suffirait de désobéir aux traités et règles qu’impose l’UE pour conduire des politiques économiques et sociales tournant le dos à l’austérité. Que ce n’était somme toute qu’une question de volonté et de détermination. C’était compter sans la riposte des institutions européennes et des pays qui, comme l’Allemagne, y impriment leur marque. Riposte d’une violence inouïe qui vise à signifier une fois pour toutes qu’il n’existe pas d’alternative viable dans la zone euro. Pour la gauche, il y a là un défi démocratique à relever d’urgence en tenant compte du précédent grec.

Publié dans le dossier
Quel plan B pour changer l'Europe ?
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