ONU : « Si on dit le droit, il faut qu’il y ait des sanctions »

Yves Aubin de la Messuzière commente la récente initiative française à l’ONU, relative au conflit israélo-palestinien.

Denis Sieffert  • 23 septembre 2015 abonné·es
ONU : « Si on dit le droit, il faut qu’il y ait des sanctions »
© Photo : GHARABLI/AFP

Combien de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sont restées lettres mortes, balayées par les dirigeants israéliens ? Et une bonne trentaine se sont heurtées au veto des États-Unis depuis 1973. Le conflit israélo-palestinien illustre l’impuissance de l’ONU. La France, pourtant, relance une initiative dans ce cadre. En avant-première d’un colloque au Sénat, Yves Aubin de La Messuzière, ancien ambassadeur, et grand connaisseur de ce dossier, évoque la démarche française et ne cache pas un certain pessimisme [^2].

Le conflit israélo-palestinien est aujourd’hui éclipsé dans l’actualité par la tragédie syrienne. Est-il devenu un conflit secondaire ?

La démarche française initiée par Laurent Fabius a bien peu de chances d’aboutir. Et c’est une litote. Il s’agit pourtant d’un projet de résolution d’une extrême prudence qui ne concerne que la méthode. Le but est de créer « un cadre international renouvelé » en impliquant « les grands partenaires régionaux » et davantage les Européens. Le ministre français pense sans doute relancer l’initiative de la Ligue arabe, d’inspiration saoudienne, de 2002. En échange de la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, tous les pays arabes se proposaient de « normaliser » leurs relations avec Israël. L’offre n’avait été prise en considération ni par Ariel Sharon ni par George W. Bush. Or, aujourd’hui, l’Arabie saoudite, en faisant implicitement cause commune avec Israël contre l’Iran, a perdu sa monnaie d’échange. D’autre part, à supposer que la résolution française soit déposée devant le Conseil de sécurité dans le prolongement de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’ouvre le 28 septembre, elle se brisera sur le veto américain. La suite risque d’être plus intéressante. Laurent Fabius a averti que, « si la négociation était impossible » la France reconnaîtrait « sans délai l’État palestinien ». L’acte, quoique symbolique, serait courageux.
Yves Aubin de La Messuzière : Depuis quelques années, nombre d’observateurs considèrent en effet que le conflit israélo-palestinien est secondaire et qu’on peut le marginaliser comme un conflit de basse intensité. Qu’il y a certes un problème à Gaza, mais qu’Israël seul peut le résoudre. C’est un peu court. Car on est toujours rattrapé par le conflit israélo-palestinien, qui garde une forme de centralité. C’est la mère des conflits. C’est une erreur de penser que les opinions arabes se désengagent. Quant au groupe État islamique, il se nourrit de ce conflit, notamment de la dernière tragédie de Gaza. Il y a en ce moment une forte tension et des affrontements sur l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem. Dans le même temps, des contacts se nouent entre le Hamas et Israël. On pourrait arriver à une forme d’autonomie accentuée de Gaza, avec la complicité d’Israël. Des discussions sont en cours pour ouvrir un port. Mahmoud Abbas [président de l’Autorité palestinienne, NDLR] en est meurtri, mais il faut dire que l’Autorité palestinienne est en plein délitement. De plus, on observe une pénétration du groupe État islamique, pas seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Pour mesurer la centralité de ce conflit, il faut également considérer la résonance qu’il a dans la société française, avec des radicalisations visibles sur les réseaux sociaux, y compris au sein de la communauté juive. Or, il n’existe pas la moindre perspective.

On parle d’une nouvelle initiative française devant l’Assemblée générale de l’ONU. Peut-on encore croire à ce genre de démarche ?

Il faut reconnaître que François Hollande n’a pas une grande appétence pour ce dossier. Lors de la première conférence des ambassadeurs, il a tenu des propos qui ont 30 ou 40 ans de retard. Pas un mot sur l’État palestinien. Seule compte la sécurité d’Israël. Alors que la France a toujours été précurseur dans ce dossier, on le voyait très en retrait, sans doute sous l’influence de son entourage. Quand il est allé devant la Knesset en novembre 2013, on a même pu craindre qu’il soit en deçà de Nicolas Sarkozy. Il a finalement lui aussi évoqué Jérusalem capitale de deux États et l’État palestinien. Mais le premier élan n’était pas celui-là. L’initiative de résolution devant le conseil de sécurité des Nations unies est menée sous l’impulsion de Laurent Fabius. L’idée est qu’il faut changer de méthode et élargir le nombre de partenaires, en intégrant notamment des pays arabes. Mais Israël exerce des pressions. Israël ne veut pas d’initiatives en général, et surtout pas dans le cadre de l’ONU. On a espéré – en raison du malaise qui existe entre les deux pays – que les États-Unis ne s’y opposeraient pas, mais ça ne semble pas être le cas. D’autant plus que nous sommes maintenant à proximité de l’élection présidentielle. Des consultations sont en cours pour que la résolution obtienne au moins une majorité au Conseil de sécurité, quitte à se heurter ensuite au veto. Mais on peut se demander si, devant la perspective de veto américain, il existe toujours une volonté française. Laurent Fabius a indiqué que, si l’avancée ne se faisait pas devant le Conseil de sécurité, la France prendrait ses responsabilités et reconnaîtrait l’État palestinien. On va donc pouvoir juger de la détermination française. Mais on se souvient de l’hésitation au moment de la reconnaissance de la Palestine comme État non-membre. Or, si la France a un effet d’entraînement sur les autres pays européens sur ce dossier, l’effet peut aussi être négatif. Une chose tout de même : la France a récemment déconseillé aux entreprises françaises d’investir dans les Territoires occupés. Cela n’est pas passé inaperçu en Israël. Le boycott inquiète beaucoup les dirigeants israéliens. Mais, sur ce dossier, on attend de la France qu’elle dise le droit. Et si on dit le droit, il faut qu’il y ait des sanctions.

[^2]: Colloque, le 2 octobre au Sénat, sur le thème « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient ? », à l’initiative de l’iRReMMO et de la revue Orient XXI. Informations et inscriptions sur les sites iremmo.org et orientxxi.info.

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