EELV : L’écologie politique en crise

Le départ récent de plusieurs dizaines de cadres et de militants amorce la plus importante déstabilisation du parti écologiste depuis vingt ans. Clarification ou spirale de l’échec ?

Patrick Piro  • 14 octobre 2015 abonné·es
EELV : L’écologie politique en crise
© Photos : FEFERBERG/AFP - Patrick Piro

Pas une semaine chez EELV sans l’annonce, plus ou moins sonore, d’une démission. Dernière en date : Aline Archimbaud. Début octobre, la sénatrice rejoignait Écologistes !, la nouvelle formation de François de Rugy et de Jean-Vincent Placé qui ont claqué la porte un mois plus tôt. Ce pôle accueille déjà les principaux ex-EELV [^2], à l’exception de Barbara Pompili. Leur signe de ralliement : le soutien à François Hollande et le choix de s’allier avec le PS pour les élections régionales de décembre prochain.

Des militants moins renommés ont suivi. David Cormand, tout en admettant un manque de visibilité, estime leur nombre à environ 300. Dans un courrier interne, le secrétaire national adjoint d’EELV conteste le chiffre de 1 000 départs allégué par le Canard enchaîné la semaine dernière, ainsi que le tableau financier catastrophique que brosse l’hebdomadaire en raison de la perte des cotisations que les élus démissionnaires reversaient au parti. Une trésorerie certes « tendue », mais gare aux « rumeurs plus ou moins bienveillantes », prévient David Cormand, qui reconnaît « que le contexte n’invite pas à la sérénité ». De fait, l’hémorragie signe la plus importante crise interne depuis deux décennies. En 1994, Antoine Waechter, qui refusait de « marier » l’écologie à d’autres partis (le « ni-ni »), partait, entraînant d’un coup des dizaines de militants, après que la majorité, portée par Dominique Voynet, avait opté pour l’ancrage des Verts au sein de la gauche. « La crise actuelle annonce-t-elle la mort prochaine d’EELV ?, s’interroge Yves Cochet, cofondateur des Verts il y a trois décennies. Je ne le crois pas. Ces départs sont moins nombreux qu’en 1994, et il s’agit d’une armée mexicaine de candidats à des postes de responsabilité ! Je ne vois pas leur opération déboucher. Sauf si… François Hollande, coup dur, invite Emmanuelle Cosse au gouvernement… » Samedi dernier, lors du conseil fédéral du parti, la secrétaire nationale s’est montrée très agacée de se voir auscultée de près, en interne et dans les médias. Alors que son conjoint, le député Denis Baupin, très proche des démissionnaires, ne les a pas suivis, certains spéculent sur leur départ commun après les régionales, où Emmanuelle Cosse mènera la liste EELV en Île-de-France (voir p. 7).

Réponse : « En tant que secrétaire nationale, je veille scrupuleusement au maintien de notre unité et de notre cohérence. Et je porterai jusqu’au bout cette volonté de construire une force d’écologie politique indépendante. » Pourtant, ce qu’elle ramène à un « bal des ego » (voir aussi, ci-contre, les propos de délégués du conseil fédéral) fragilise potentiellement bien plus le parti qu’à l’époque où Waechter avait été mis en minorité par un vote de congrès. Rien d’aussi limpide en 2015 : la majorité qui a porté Cosse au secrétariat national, en 2013, est devenue le premier foyer de divergence interne – de Rugy et Placé en faisaient partie, tout comme Cécile Duflot, dont la stratégie a déclenché la crise. En quittant le gouvernement fin mars 2014, la patronne de fait d’EELV a rompu vingt ans de pacte tacite avec le PS. Certes en résonance avec la majorité du mouvement écologiste, in fine, mais sans débat ni vote.

À six semaines du grand sommet climat de Paris (COP 21), objectif central de la mobilisation écologiste, EELV voit une fois de plus son énergie dévorée par les affaires internes, à la merci de nouvelles démissions perlées, avec à la barre une capitaine bien involontairement surexposée. Si le projet des transfuges reste flou, encore limité à une forme d’allégeance au PS, il émiette l’écologie au sein du paysage politique français. La capacité de résilience d’EELV se mesurera à son résultat au premier tour des régionales, le 6 décembre, alors qu’Écologistes ! [^3] compte présenter des candidats. Mais la loupe se focalisera aussi sur la demi-douzaine de régions où les EELV ne sont pas allés aux urnes en autonome (comme en Île-de-France), mais sont alliés avec tout ou partie du Front de gauche [^4]. Et puis il restera à gérer, pendant des mois encore, une délicate cohabitation entre élus nationaux. À l’Assemblée nationale, si le coprésident du groupe écologiste François de Rugy a accepté de passer la main à Cécile Duflot, elle devra faire fauteuil commun avec Barbara Pompili, l’autre coprésidente. C’est encore plus tordu au Sénat. Bien que le conseil fédéral EELV ait adopté une motion interdisant la présidence du groupe à un non-membre du parti, les écologistes, à dix élus [^5], devront faire avec Jean-Vincent Placé, l’actuel président, qui n’a pas signifié l’intention de se démettre.

« Les militants,

on n’en parle jamais »

Valérie Dervin-Froidefond, 50 ans, adhérente au mouvement Europe Écologie en 2009, 2e de liste aux régionales dans l’Aisne (Nord-Pas-de-Calais/Picardie).

Illustration - EELV : L’écologie politique en crise

Je me sens d’autant plus concernée par les récents départs d’EELV qu’ils ont pour déclencheur, en grande partie, la décision des militants de notre région de ne pas s’allier au PS au premier tour de l’élection régionale. Dans un sens, je comprends les partants : il s’agit de personnes habituées à être élues et réélues avec l’appui des socialistes… Ils brandissent le spectre d’un FN capable de l’emporter en Nord-Pas-de-Calais/Picardie, mais je refuse d’être la caution verte du PS ! Qui donc joue avec le feu ? Qu’ont fait les socialistes pour empêcher la montée de l’extrême droite alors qu’ils détenaient toutes les régions sauf une ? S’il n’y a plus d’alternative au FN à gauche, alors il faut que nous l’incarnions. C’est notre conviction, elle est clairement exprimée par la décision de notre groupe régional, prise à l’écrasante majorité des trois quarts des votants.

Je fais une lecture identique au niveau national : je ne considère pas qu’EELV traverse une crise, mais plutôt que le parti vit l’avènement de ses positions majoritaires. Les tenants d’une position minoritaire sont partis, ou sur le point de le faire, nous allons peut-être enfin pouvoir travailler sereinement. Et, en dépit du grand tort que nous fait le traitement médiatique de cet épisode, on bosse en région, on est sur le terrain. Mais les militants, on n’en parle jamais.

« Nous mobilisons l’électorat de gauche »

Wandrille Jumeaux, 27 ans, adhérent aux Verts en 2010, Île-de-France.

Illustration - EELV : L’écologie politique en crise

Je suis partagé entre l’inquiétude – quand je vois le potentiel d’autodestruction que recèle le départ de plusieurs figures – et l’optimisme devant la clarification politique qui s’opère et l’émergence d’une nouvelle génération de militants. Des jeunes très dynamiques, mais aussi les personnes, chez nous et à gauche, capables de fomenter une dynamique citoyenne de rassemblement comme en Auvergne/Rhône-Alpes. On voit là se dessiner une perspective politique autour de l’écologie solidaire et de la justice sociale, pour aujourd’hui… ou plutôt demain !

Ce qui relativise la portée réelle des centaines de départs récents du parti : dans le lot, il y a très peu de personnes sans lien financier ou autre avec les principales figures qui viennent de rendre leur carte. Ainsi, cette liste de 80 noms qui se retirent en Seine-Saint-Denis : de qui s’agit-il ? On ne les a jamais vus, ce sont des adhésions de complaisance. De vrais militants, je n’en connais aucun ayant suivi ce mouvement de départ.

Je peux comprendre l’intérêt tactique individuel d’un François de Rugy ou d’un Jean-Vincent Placé, qui cherchent à être nommés à des postes gouvernementaux. Mais, politiquement, je trouve ça décevant, voire minable. Ils ont beau jeu, à l’unisson du PS, de justifier leur départ en nous reprochant de faire le jeu du FN. Je refuse de voir le problème posé de cette manière, alors que ce sont les pouvoirs en place qui creusent, depuis des décennies, le fossé de la désespérance au sein de la population. En défendant nos idées devant les électeurs, nous avons au contraire la conviction de contribuer à mobiliser un électorat de gauche qui sera plus enclin à voter pour une liste d’alliance au second tour, alors qu’aucune région n’encourt le risque de voir la droite et l’extrême droite se départager seules.
Et puis on peut bien faire des gorges chaudes sur les bisbilles des écolos : nos dissensions traduisent aussi des questions stratégiques et politiques très symptomatiques de l’état actuel de cette gauche qui déçoit et ne tient pas ses promesses. Le choix de Rugy et de Placé est ainsi éminemment politique : ils sont en voie de rejoindre le PS.

« C’est une crise très parisienne »

Fanny Dubot, 26 ans, adhérente aux Verts en 2007, directrice de campagne du Rassemblement (EELV-PG-Ensemble ! -Nouvelle Donne-Nouvelle Gauche socialiste) pour l’élection régionale en Auvergne/Rhône-Alpes.

Illustration - EELV : L’écologie politique en crise

Qu’il y ait un péril FN, j’en conviens. Mais c’est une analyse ringarde que d’appeler à une union des « boutiques » politiques pour le contrer. J’ai personnellement appelé le conseil fédéral à abandonner cette vieille notion, aujourd’hui vide de sens, qu’est le « front républicain ». Pour nous, combattre l’extrême droite, c’est œuvrer à la diffusion des idées écologistes.

Je peux cependant comprendre la motivation politique de ceux qui viennent de quitter le parti : leur ligne n’est pas celle d’EELV. En revanche, cette méthode des départs au « compte-gouttes » me met très en colère, elle concentre à chaque fois ­l’attention médiatique, c’est une manière délibérée de flinguer notre campagne !

Remettons les choses à leur juste place : cette crise, dont je ne conteste pas la réalité, est tout de même très parisienne. Dans notre région, le seul départ d’élu que j’ai enregistré est celui de Claude Comet, partie rejoindre la liste du PS. On ne peut pas parler d’un parti coupé en deux, image qui nous fait un tort considérable.

Cependant, pour être honnête, ce traitement médiatique est aussi la conséquence de la lourdeur de notre gouvernance et de fuites organisées de l’intérieur. Je comprends qu’il y ait plus d’écologistes dans les associations qu’à EELV…

[^2]: Christophe Cavard, François-Michel Lambert et Véronique Massonneau (députés), Stéphane Gatignon (maire de Sevran), Marie-Pierre Bresson (ex-membre du bureau d’EELV), ainsi qu’une trentaine de conseillers régionaux, dont 16 sur 51 en Île-de-France, qui ont formé un groupe distinct d’EELV.

[^3]: Il devrait rejoindre le Front démocrate des amis de Jean-Luc Bennahmias (ancien Vert passé par le MoDem) au sein d’une Union des démocrates et des écologistes.

[^4]: Voir Politis n° 1371, 1er octobre.

[^5]: Seuil numérique pour former un groupe au Sénat.

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