Quand Alévêque vomit les tièdes

Entre rêve et dépit, le comédien anime sur scène un chant de révolte jubilatoire.

Jean-Claude Renard  • 28 octobre 2015 abonné·es
Quand Alévêque vomit les tièdes
Ça ira mieux demain , Christophe Alévêque, théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe, jusqu’au 7 novembre, Palais des glaces, Paris Xe, à partir du 4 décembre.
© Xavier Cantat

Sur scène, au piano. Il tâtonne. L’humeur ne s’y prête pas. Les temps non plus. Fini de rire. Moral en berne, ou presque. C’est pourtant beau de rêver dans un monde qui calcule. « Ça ira mieux demain », entonne Christophe Alévêque. La voix se chauffe. Mais la réalité est là, qui se cogne aux faits, âpres, quotidiens. Dans ces cas-là, même les rêves ont leur dimanche ; ils vadrouillent dans les béances, s’interrogent, de la manif pour tous à la loi Macron, en passant par une jeunesse désengagée qui s’en va aux manifs « s’il fait beau » … Et de se tourner alors vers Don Quichotte, dans les replis « d’un givré refusant la réalité qu’on lui impose pour réparer les injustices ». Convoquer Don Quichotte et ses moulins, telle est l’ossature de ce spectacle de Christophe Alévêque, épaulé par Sancho Pança (Francky Mermillod, superbe en piètre écuyer ouvrier alcoolique et snobé, en apparence sombre ilote, mais pas tout à fait dupe). Un Don Quichotte guidé par le délire et l’utopie, ramené à sa contemporanéité, culbuté par la vie ordinaire, une société de consommation, par des idéologies transformées en Caddie, une foule de macroniens, des émissions télé au niveau de la Beauce… Les occasions de s’insurger ne manquent pas. Mais à quoi bon ? Pourquoi pas tenter alors « le stand-up centriste », décervelé, pas clivant pour un sou ? C’est évidemment le contraire que propose ici Alévêque. Dieu vomit les tièdes, lui itou. Et c’est aussi, en creux, une réflexion sur le métier d’humoriste, en figure christique du rire, peut-être inutile, dérisoire. Diable !

Faire du drôle avec du drame ? Curieuse prétention ! Des moulins en perspective ! Il faut alors un sacré fagot d’énergie. C’est exactement ça, Alévêque, pas fichu de tenir la rampe d’un stand-up bas du bob. Révolté, cinglant violemment, dans « le climat social pétant comme un furoncle, le retour du moraliste catho intégriste, traditionnel et réactionnaire », ou encore déçu des socialistes, quand même il n’attendait rien d’eux. Aujourd’hui, Alévêque est aussi le seul humoriste chez qui la politique, au sens large, est le nerf des spectacles. S’il y a des limites à l’humour, lui ne s’en donne pas. Il chante (Brel, Ferré, « O Bella Ciao »), mime, éructe, vocifère, satirise, dans un récit écrit au scalpel de mage, non sans quelque improvisation ahurissante. Le bouffon (sans roi) ne retient rien. Il exagère. Mais on n’exagère jamais assez.

Culture
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