Voyage au bout de l’image

Articulée autour de l’histoire, la collection documentaire de Serge Viallet « Mystères d’archives », produite par l’INA, revient à l’antenne avec le même souci d’éducation visuelle.

Jean-Claude Renard  • 28 octobre 2015 abonné·es
Voyage au bout de l’image
Mystères d’archives , du 2 au 27 novembre, sur Arte, du lundi au vendredi, à 17 h 35.
© Felix Forestier

Juin-juillet 1944, dans le Vercors. Cameraman, Félix Forestier est venu depuis Paris pour filmer discrètement le quotidien des maquisards. Des postes de garde, des résistants qui se déplacent, des armes parachutées en provenance d’Alger, des responsables militaires, un commando américain enseignant le maniement des armes… L’image se fixe sur la croix de Lorraine, gravée sur l’avant d’un camion ; zoom sur trois lettres : ASV, pour Armée secrète du Vercors. Plans et cartes livrent la situation géographique de ce maquis. Soixante-dix ans plus tard, des images rendent compte du même paysage, marqué par un relief escarpé. Là où Forestier avait demandé de rejouer des scènes de combat contre les nazis, là encore où il filmait une cérémonie en mémoire des frères abattus. Les images repassent au ralenti, et chaque tête apparaissant à l’écran a droit à son focus, à son identification.

Quelques mois plus tard, le cinéaste Jean-Paul Le Chanois reviendra sur les lieux pour tourner Au cœur de la rage, formidable contrepoint aux archives de Félix Forestier, qui se déplace alors avec une petite caméra dotée de trois objectifs. Avec deux opérateurs, il sera aux côtés des maquisards jusqu’au bout, pour des images uniques témoignant de la Résistance. Ce numéro dense, foisonnant, consacré au maquis du Vercors est au diapason de la collection « Mystères d’archives » réalisée par Serge Viallet, et produite par l’Institut national de l’audiovisuel. Après trois saisons (depuis 2009) et trois années d’absence, elle revient avec dix épisodes (comprenant notamment la traque de Pancho Villa, Castro aux Nations unies ou encore les bagnes de Guyane). Les images de Félix Forestier ont été égarées puis oubliées avant d’être retrouvées en 2013, exhumées aujourd’hui. Un peu comme celles de Sydney Chaplin, frère de Charlie, constituant un autre volet de cette collection, sur le tournage du Dictateur. L’aîné de la fratrie vient alors, en janvier 1940, tourner quelques images à usage privé. Elles révèlent des scènes qui ne seront pas conservées dans le fameux chef-d’œuvre, des séquences de la scène du bal ou de batailles militaires, des gags tentés puis abandonnés. Ce sont là vingt minutes d’images disparues puis retrouvées, cinquante ans plus tard, dans un placard familial. Chaque fois, Serge Viallet, lui-même documentariste, interpellé par le sens de l’image, auteur notamment de Kwai et de Tokyo, le jour où la guerre s’arrêta (réalisateur aussi pour Médecins sans frontières), décompose l’image tel un puzzle. Il identifie les personnalités (pas forcément celles au premier plan), superpose les séquences, les confronte avec d’autres actualités, rapporte le contexte, ajoute des flash-back, cherche les clés. Qui, comment, pourquoi ? Parce que chaque image amène son enquête, est remise en question, se fait source de lecture.

Enquête, c’est peu dire, quand on sait que chaque sujet est fouillé durant deux années. Travail d’archéologie et de police scientifique. Telle est la vocation de cette collection résolument pédagogique, prenant quelques allures du « Dessous des cartes » de Jean-Christophe Victor, et dont le pendant, surtout, serait « Palettes », d’Alain Jaubert, époustouflant décryptage de la peinture. Ça vaut pour l’image animée. « Il y a parfois, dans l’information, des images véhiculées qu’il faut avoir le temps d’observer, remarque Serge Viallet. C’est comme un vase étrusque enfoui sous terre, en petits morceaux, qu’on recolle pour qu’il existe à nouveau ! Les images font notre mémoire, mais il est bon de les revisiter, de les observer autrement.  » D’autant qu’on regarde 25 images par seconde sans rien voir de celles qui nous aveuglent. Une invitation au décryptage, donc, « dans un quotidien bombardé d’images, poursuit Serge Viallet. Il s’agit de les mettre à distance, de savoir les lire, d’être moins émotif devant elles, de les désacraliser enfin ! ». Pas étonnant, alors, de trouver une collaboration entre le cinéaste Rithy Panh, taraudé par le sens des images, et Serge Viallet, s’efforçant avec lui, à l’occasion, « non pas d’illustrer ces images, mais de les faire parler au plus loin ».

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