La Turquie torpille la grande coalition

En abattant un appareil Sukhoï russe, mardi, la Turquie a probablement torpillé la « grande coalition » contre Daech voulue par François Hollande.

Denis Sieffert  • 25 novembre 2015 abonné·es
La Turquie torpille la grande coalition

En abattant un appareil Sukhoï russe, mardi, la Turquie a probablement torpillé, au propre comme au figuré, la « grande coalition » pour laquelle milite François Hollande depuis les attentats de Paris. La série de contacts du Président français, tout au long de la semaine, visait à former une « grande coalition » contre Daech, comprenant les Occidentaux, les pays du Golfe, la Turquie, l’Égypte, la Russie et l’Iran. La difficulté était de concilier les points de vue des pays du Golfe et de la Turquie, d’une part, et de la Russie et de l’Iran, d’autre part. Les premiers, très hostiles au régime de Damas et, il y a peu encore, complices directs ou indirects de Daech, les seconds, engagés au contraire dans le soutien à Bachar Al-Assad. Pour réussir une grande coalition, la tactique était de mettre entre parenthèses le problème qui « fâche » le plus, c’est-à-dire le sort de Bachar. Personne ne cédant rien sur le fond, mais chacun considérant que l’on pouvait s’accorder sur une priorité immédiate : la guerre à Daech. Le grave incident de mardi, au contraire, remet au premier plan la divergence de fond sur le sort du dirigeant syrien. Ce qui divise plutôt que ce qui unit.

À qui la faute ? Comme toujours dans ce conflit, une grille de lecture manichéenne ne doit pas avoir cours. Les Turcs portent évidemment la responsabilité factuelle de cet événement. L’argument d’Ankara est d’assez mauvaise foi car s’il est vrai que les appareils russes survolent la Turquie, c’est un très court instant et au-dessus d’un territoire très limité, à la frontière syrienne. En aucun cas, ils ne constituent une menace pour la Turquie. La vraie raison est donc ailleurs. Ankara prend le parti de la rébellion syrienne depuis le début, en mars 2011, alors que Vladimir Poutine soutient le régime. Et c’est ici que la responsabilité de Moscou est lourdement engagée. Le deal supposait que la Russie concentre désormais ses bombardements sur Daech et renonce à bombarder les rebelles qui combattent le régime de Damas, à l’ouest du pays. Or, l’aviation de Poutine n’a pas cessé ces jours-ci de bombarder intensivement les rebelles anti-Assad. Et parmi ces rebelles, une forte population turcmène, située au nord d’Alep et d’Idlib. L’opération turque met en évidence, et de la façon la plus violente, la politique russe. On voit mal, dans ces conditions, comment la « grande coalition », voulue depuis peu par François Hollande, pourrait voir le jour, même après la rencontre du Président français et de Vladimir Poutine. Une coalition qui n’est pas souhaitée non plus par Barack Obama tant que la Russie soutient militairement le régime de Damas. Tout ça nous ramène à ce constat qu’il ne peut y avoir d’éradication de Daech sans règlement de fond de la crise syrienne.

Monde
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