« Juger les atteintes à la nature »

Deux ONG militent pour que les droits de la Terre soient déclarés inviolables. Une réponse aux problèmes environnementaux.

Lena Bjurström  • 9 décembre 2015 abonné·es
« Juger les atteintes à la nature »
Prisca Merz Co-initiatrice d’End Ecocide on Earth.
© Waltham/Robert Harding Heritage/AFP

Verra-t-on un jour des entreprises et des États condamnés pour leurs atteintes à l’environnement, au même titre que pour des violations des droits de l’homme ? C’est ce qu’espèrent l’ONG Global Alliance for The Rights of Nature (GARN) et le mouvement End Ecocide on Earth (EEE), qui organisaient les 4 et 5 décembre un tribunal citoyen sur les droits de la nature à Paris, en marge de la COP 21. Pour Prisca Merz, il est temps d’inscrire les droits de la Terre dans les textes nationaux et internationaux.

Quels étaient les enjeux du tribunal citoyen qui s’est tenu à Paris ?

Prisca Merz : Il s’agissait de témoigner publiquement de la destruction des conditions de vie sur Terre, une destruction acceptée, voire encouragée, par les États et les entreprises, mais surtout de démontrer le pouvoir que pourrait détenir la justice internationale si elle se saisissait des questions environnementales. Lors du tribunal, les juges – des personnalités de la société civile reconnues pour leur expertise sur ces questions – se sont penchés sur des problématiques de violations environnementales, en s’appuyant sur deux textes que nous voudrions voir entrer dans le droit international. D’une part, la Déclaration universelle des droits de la Terre Mère, que GARN veut porter à l’ONU. D’autre part, la notion d’« écocide », un crime dont nous proposons l’intégration dans le statut de la Cour pénale internationale, au même titre que celui de génocide. Nous avons organisé ce tribunal pour porter l’idée que la nature possède des droits, que les violations de ces droits devraient être jugées et les coupables tenus pour responsables, condamnés à payer mais aussi à restaurer l’écosystème détruit.

En deux jours, le tribunal s’est penché sur des thématiques très vastes et diverses : changement climatique, nucléaire, OGM, méthodes d’extraction minière… au risque d’être un peu brouillon. Pourquoi avoir choisi d’englober toutes ces questions ?

Ce tribunal est symbolique. Nous voulions souligner à quel point toutes ces problématiques, toutes ces violations sont liées. Elles constituent pour nous les symptômes d’un problème systémique : le droit des hommes sur la nature. Elles résultent d’un principe jamais remis en question : le droit de posséder, d’exploiter la Terre, sans responsabilité. Avec ce tribunal, il s’agissait de changer les consciences. Et de montrer que donner des droits à la nature – avec une traduction judiciaire par le biais du crime d’écocide – permettrait d’apporter une vraie réponse aux enjeux environnementaux. Ce tribunal est un début. L’année prochaine, se tiendra à La Haye le Tribunal Monsanto, un procès citoyen qui se penchera sur des violations très précises des droits de la nature par cette entreprise, en s’appuyant également sur la définition du crime d’écocide.

L’intégration des droits de la nature dans les textes internationaux pourrait-elle vraiment avoir un impact ? N’est-ce pas idéaliser le pouvoir effectif de la justice ?

Au sein du mouvement End Ecocide on Earth, nous militons pour l’intégration du crime d’écocide dans les compétences de la Cour pénale internationale. Bien sûr, nous savons que, si nos amendements sont adoptés, nous ne pourrons pas traîner devant cette cour tous les PDG d’entreprises responsables de violations environnementales. Mais le simple fait que ces transgressions soient formellement considérées comme telles par les textes peut amener ces dirigeants à réfléchir à deux fois avant de valider des actions pouvant les entraîner dans l’illégalité. En outre, le droit est un outil dont on doit s’emparer. En juin dernier, l’avocat de l’ONG Urgenda a fait condamner les Pays-Bas pour non-respect de ses engagements climatiques, contraignant l’État à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25 % d’ici à 2020 [^2]. Et ce n’est pas le seul cas de condamnation de ce type ! En intégrant les droits de la nature et le crime d’écocide dans les textes internationaux, nous créerions un outil légal dont les citoyens pourraient s’emparer au niveau national et local, en portant devant les tribunaux leur lutte contre un projet de centrale ou d’exploration minière. Il s’agit de se donner de nouveaux moyens d’agir.

[^2]: En France, l’ONG « Notre affaire à tous » a récemment entrepris une démarche similaire. Elle devrait d’ici peu attaquer l’État en justice pour manquements dans la protection de ses citoyens contre le réchauffement climatique et ses conséquences en termes de santé publique.

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